OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 [Infographie] 10 ans de Creative Commons http://owni.fr/2012/12/14/infographie%c2%a010-ans-de-creative-commons/ http://owni.fr/2012/12/14/infographie%c2%a010-ans-de-creative-commons/#comments Fri, 14 Dec 2012 17:30:44 +0000 Sabine Blanc http://owni.fr/?p=127405 Des early adopters aux géants du web, Owni vous retrace en une infographie 10 ans d’histoire de Creative Commons : ou comment un pari que d’aucuns jugeait pascalien a été remporté haut la main : proposer une alternative légale assouplissant la propriété intellectuelle pour favoriser le partage à l’heure du numérique.

Depuis la publication du premier set de licences en décembre 2002, cette généreuse et utile idée a fait son chemin sur les cinq continents, dépassant son cœur initial de cible, la culture, pour s’appliquer à d’autres domaines comme la science ou l’éducation.

Des dix années d’archives que nous avons parcourues, nous avons bien sûr retenu les étapes incontournables qui ont eu une large répercussion médiatique. Elles témoignent de l’évolution interne de l’organisation lancée par le juriste Lawrence Lessig mais aussi de sa réception et de la façon dont le public, qu’il s’agisse du milieu artistique, politique, médiatique, scientifique, etc, s’est emparé de l’outil. Pour en arriver là : plus de 100 affiliations travaillant dans plus de 70 juridictions.et 500 millions de contenus sous CC en 2011.


Cliquez sur les items pour avoir plus d’informations.


Design de l’infographie : Cédric Audinot et Loguy
Code : Julien Kirch
OWNI fêtera les dix ans de partage avec les Creative Commons à la Gaîté Lyrique ce samedi 15 décembre à partir de 14h.

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Offrez-vous un Owni http://owni.fr/2012/12/13/offrez-vous-un-owni/ http://owni.fr/2012/12/13/offrez-vous-un-owni/#comments Thu, 13 Dec 2012 14:25:39 +0000 Media Hacker http://owni.fr/?p=127245 Depuis lundi, Owni a baissé le rideau pour offrir à ses lecteurs un espace d’échanges autour de la situation financière et de l’avenir du média. Cet échange a lieu via Twitter (#ownioupas), au travers de vos mails sur demain@owni.fr (merci à tous, nous vous répondons personnellement et individuellement), ou encore grâce à votre participation au wiki que nous avons mis en place pour vous faire participer à nos réflexions.

Nous avons communiqué nos charges : 90 000 euros par mois. Parallèlement, au coeur des soutiens les plus forts et parmi ceux qui se sont impliqués jusqu’à présent dans notre réflexion, ceux — très nombreux — qui nous proposent de s’abonner durablement à Owni. Reste donc à mesurer l’ampleur de votre engagement afin de déterminer si la souscription est un modèle viable pour votre média indépendant.

Sur le format de l’hypothèse, quittons les sentiers abattus de la normalité : tout le monde n’a pas envie s’engager avec Owni de la même façon, ni forcément tous les mois avec la même intensité. Vous pourriez avoir envie de soutenir davantage Owni le mois prochain parce qu’un article, un dossier ou une application de datajournalisme vous a particulièrement plu. Vous pourriez avoir besoin de payer moins aussi, par nécessité ou par choix. Donc innovons : soyez libre de fixer chaque mois le prix de votre abonnement ; faisons du “Pay What You Want” (prix libre).

En imaginant donc que nous retenions ensemble l’idée du pay wall, c’est-à-dire de réserver le contenu d’Owni — ou une partie de celui-ci — à des lecteurs s’engageant à verser chaque mois une contribution fluctuant au gré de leur volonté ; si cet abonnement était mis en place, quelle somme seriez-vous prêt(e) à verser pour nous lire chaque jour ?


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— l’équipe Owni

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Minority Report, c’est pour demain http://owni.fr/2012/12/11/minority-report-cest-pour-demain/ http://owni.fr/2012/12/11/minority-report-cest-pour-demain/#comments Tue, 11 Dec 2012 14:23:46 +0000 Fabien Soyez http://owni.fr/?p=127048

Depuis quatre ans, les projets européens de recherche en matière de reconnaissance des comportements “suspects“ se multiplient. Parmi la centaine de projets du volet sécurité du FP7, le programme de recherche et développement de la Commission européenne, une demi-douzaine sortis tout droit d’un bouquin de science-fiction sont destinés à développer des technologies permettant de repérer un “comportement anormal“. Tout ceci se chiffre en dizaines de millions d’euros.

Ce concept de vidéosurveillance intelligente (VSI), qui rencontre un certain succès en France, a un seul objectif : prévenir les crimes et les attentats. Plan le plus connu, le projet INDECT. Les recherches sont financées à hauteur de 10,9 millions d’euros par la Commission européenne. Objectifs : détecter les comportements “suspects” sur Internet (forums, groupes Usenet, serveurs FTP, Peer-to-Peer) et dans la “vraie vie“, via la VSI.

INDECT

L’objectif de la VSI est de “simplifier les procédures de recherche et de contrôle“, dans le sens où les opérateurs de vidéosurveillance ne sont pas capables de surveiller plus d’une dizaine d’écrans à la fois. En facilitant leur travail, on pourrait “réduire le nombre d’erreurs“. Grâce à cette technologie en gestation, “Scotland Yard aurait pu retrouver deux fois plus rapidement” les coupables des attentats du métro de Londres en 2005, remarque Christoph Castex, de la direction générale Entreprises et Industries à la Commission européenne.

Parmi les 17 partenaires d’INDECT, l’université des Sciences et Technologies de Cracovie (AGH) et l’université polytechnique de Gdańsk conçoivent des algorithmes permettant de détecter des “situations dangereuses“. Des capteurs sonores permettent de détecter des appels à l’aide, des hurlements, des bris de vitre, des coups de feu, tandis que les caméras peuvent détecter une personne gisant sur le sol, ou un individu brandissant un couteau ou un revolver.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

De leur côté, les polices d’Irlande du Nord (PSNI) et de Pologne (MSWIA) testent les prototypes (collection d’algorithmes et de logiciels) et participent à l’élaboration d’une “compilation” de comportements suspects et de silhouettes, sur laquelle le système s’appuie pour détecter un mouvement “anormal“, défini comme un “comportement criminel“, ou comme un “comportement lié à un acte terroriste ou une activité criminelle grave (meurtre, braquage de banque) “. INDECT s’achèvera fin 2013.

Un « répertoire » de comportements suspects

Dans le même état d’esprit, le projet ADABTS a pour objectif de développer des modèles-types de “comportements suspects”. L’enveloppe de l’Union européenne est de 3,2 millions d’euros. Une fois finalisée, la technologie d’ADABTS devrait permettre d’analyser la voix d’un individu, sa démarche et ses mouvements. Elle permettra aussi de compter le nombre d’individus présents, par exemple lors d’une manifestation.

Parmi les partenaires de ce projet censé se terminer en août 2013, on compte l’Institut de psychologie du ministère de l’intérieur bulgare (IPMI), expert en criminologie, le ministère de l’intérieur britannique et le groupe d’armement BAE Systems, fournisseur principal du ministère de la défense britannique. ADABTS compte aussi dans ses rangs l’agence de recherche de la défense suédoise (FOI), récemment au coeur d’un projet controversé de vente d’armes à l’Arabie Saoudite.

Aux commandes des recherches scientifiques, l’université d’Amsterdam. L’équipe du professeur Dariu Gavrila, qui planchait déjà entre 2005 et 2009 sur un système de détection des comportements agressifs, met au point une batterie d’algorithmes basés sur des modèles statistiques. Concrètement, les silhouettes en mouvement sont isolées du reste de l’image après une opération de “soustraction” de l’arrière-plan. Ensuite, la silhouette se voit superposée un squelette 3D. Ses mouvements sont comparés à un “répertoire de gestes“. En analysant également les sons, comme le timbre de la voix ou son intensité, un comportement peut être analysé.

Afin de définir un comportement “anormal”, Dariu Gavrila a concocté, avec l’aide “d’experts” une base de données de comportements. Elle consiste en une liste d’actions, qui combinées forment un scénario :

Un “cri puissant” combiné avec “des poings brandis” et une “personne chutant” constitue un scénario permettant de prédire une agression. Des “gesticulations excessives” et des “regards alentour permanents” peuvent indiquer un comportement nerveux, qui, conjugué avec “porter des lunettes de soleil ou une capuche par un temps inapproprié” peut signifier un vol ou un scénario terroriste.

Les scénarios d’ADABTS vont de l’”agression” à l’”acte terroriste” en passant par la “bagarre à grande échelle”, le “vol” et la “foule paniquée”. En juin 2012, des acteurs ont simulé ces scénarios au Kyocera Stadion, le stade de football de La Haye. Parmi ces mouvements ou ces sons pouvant indiquer un “comportement anormal”, des cris, des hurlements, des moulinets avec les bras, des gestes de la main.

Dans la liste figure aussi le port d’une capuche, le fait pour un groupe de marcher dans le sens opposé à la foule, le fait pour un individu de marcher à une vitesse différente des autres, ou encore le fait de rester debout quand la majorité des personnes est assise. Un spectateur ne regardant pas le match de foot ou regardant autour de lui peut aussi être considéré comme suspect.

ADABTS

Comment différencier un comportement normal d’un comportement anormal, quand les mouvements ne parlent pas ? Comment faire la différence entre un couple s’embrassant et une agression ? Interrogé par Owni, Dariu Gavrila insiste sur l’importance de la vérification humaine :

Le système peut très bien détecter une personne nouant ses laçets dans un magasin ou prenant des photos dans un hall d’aéroport, et considérer cela comme un comportement “anormal”. En réalité, le système ne sait pas s’il s’agit d’un comportement indésirable. Il détecte simplement un comportement qui s’écarte des comportements normaux que nous lui avons appris.

Terminé en 2011, le projet SAMURAI a coûté 3,8 millions d’euros, dont 2,5 millions en provenance de l’Union européenne. SAMURAI utilisait lui aussi une liste de comportements “anormaux“, par exemple un individu semblant tenter de cacher son visage, ou une personne marchant contre le “flot régulier” d’une foule. Des algorithmes permettent au futur système de retenir les comportements “habituels” des individus, par exemple le trajet emprunté par des voyageurs au moment de s’enregistrer à l’aéroport. D’autres permettent de détecter un visage et de se focaliser dessus.

Les mouvements que sont une poignée de main, un baiser, un coup de fil ou le fait de s’asseoir sont aussi analysés. Les algorithmes ont été développés par les universités de Queen Mary (Londres) et de Vérone, mais aussi par la société Selex Elsag. Une filiale du groupe italien Finmecannica, connue depuis cet été pour avoir vendu à la Syrie un système de transmission de données.

Très proche de SAMURAI et également terminé depuis 2011, le projet SUBITO devait quant à lui permettre d’identifier un bagage abandonné, de retrouver son propriétaire, et de le suivre à la trace de caméra en caméra. Pour cela, il utilise des algorithmes de détection et de traçage développés par l’université de Leeds, l’Institut de recherche du Commissariat à l’énergie atomique (CEA) de Saclay et l’Office national d’études et recherches aérospatiales (Onera) de Châtillon.

Les comportements suspects sont détectés à une moindre échelle : ici, il ne s’agit que des propriétaires de bagages. Si un voyageur distrait oublie son sac et reste loin de celui-ci trop longtemps, il pourra être considéré comme suspect. Pour l’instant, les technologies développées par SAMURAI et SUBITO n’ont pas encore été intégrées à un système opérationnel, et sont susceptibles d’être à nouveau l’objet de recherches.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Une technologie pas encore mature

Les chercheurs en VSI sont unanimes : pour l’instant, la détection n’est efficace que lorsqu’il s’agit de “scènes simples“. Les partenaires d’ADABTS espèrent pouvoir à terme commercialiser un produit fini utilisant un matériel “low cost”, et le proposer aux autorités européennes, aux forces de police et aux sociétés de services de sécurité. Un enthousiasme que ne partage pas Dariu Gavrila :

Pour l’instant, la détection automatique comportementale n’en est qu’à ses débuts. Nous avons fait de très grands progrès, mais nous sommes encore loin d’un système intelligent capable de détecter automatiquement des comportements anormaux. Il est facile de détecter un comportement visible comme une bagarre, mais quand il s’agit d’un “comportement camouflé”, c’est une autre paire de manche !

Même constat en ce qui concerne le “vidéo tracking”, ou “pistage” d’une personne de caméra en caméra :

Pour l’instant, nous sommes capables de détecter un individu quand il y a peu de monde et quand le fond est statique, mais quand il y a foule et que les gens interagissent entre eux, la situation est bien plus complexe.

Pour les chercheurs, malgré l’avancée des recherches, il faudra attendre encore cinq ou six ans avant de voir apparaître une caméra véritablement “intelligente”.

“L’effet Big Brother”

Quid des questions éthiques ? À l’université de Kingston, des chercheurs planchent sur le projet ADDPRIV. Quand un comportement suspect est détecté, le système imaginé collecterait les vidéos précédant et suivant la détection, afin de pouvoir suivre à la trace la personne suspectée. Financé à hauteur de 2,8 millions d’euros par la Commission européenne, ADDPRIV veut assurer un “juste milieu” entre “sécurité et protection de la vie privée“. L’idée est de ne garder que les images et les sons “pertinents“, ayant trait à un évènement suspect, grâce à des algorithmes de “tri” des données.

Pour Daniel Neyland, de l’université de Lancaster et membre du bureau éthique d’ADDPRIV, les expériences menées, “avec l’autorisation des personnes filmées et en vase clos” sont “l’occasion de tester la façon dont nous pourrions renforcer à la fois la sécurité et la vie privée”. Pour cela, les données pourraient notamment être “anonymisées” grâce au “hachage” et au chiffrage des images stockées, et à une application conçue pour flouter les visages. Cela suffit à transporter de joie les concepteurs du projet :

Grâce à sa technologie de surveillance ciblée, ADDPRIV permettra une meilleure acceptation sociale de la vidéosurveillance en réduisant l’effet Big Brother, notamment en collectant le minimum de données possible.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Concernant le projet ADABTS, l’un de ses coordinateurs à l’agence de recherche de la défense suédoise (FOI), Henrik Allberg, affirme à Owni :

ADABTS n’identifie personne, il détecte des corps, une représentation de ce qui se passe. La reconnaissance de comportements couvre une zone restreinte, et se centre sur une activité nocive potentielle, indépendamment de l’identité d’une personne ou de son histoire.

Pour Dariu Gavrila, la détection automatique est même plus “objective” que l’oeil humain :

L’opérateur humain est plus subjectif, il a tendance à classer les individus observés dans des catégories, selon leur âge ou leur apparence, par exemple. Un système intelligent automatisé demeurera bien plus objectif et moins discriminant.

À la Commission européenne, Christoph Castex affirme de son côté que les différents projets respectent un “code de déontologie“, ainsi que les législations nationales et internationales en vigueur, comme la Charte des droits fondamentaux de l’UE et la Convention européenne des droits de l’homme. Pour Castex, une fois la technologie arrivée à maturité, la balle sera dans le camp des États :

Le prototype est destiné aux forces de police des pays européens, et elles seront obligées de se conformer aux lois existantes. Tout système basé sur INDECT sera forcé de respecter les données privées.

Tout comme ADABTS, le projet INDECT possède un “bureau éthique” indépendant, composé d’experts de la protection des données, d’universitaires et de membres de la police nord-irlandaise. Ce bureau est chargé de surveiller les outils développés et d’évaluer leur respect de la vie privée. À noter que si ce bureau diffuse l’ensemble des documents ayant trait à INDECT sur le site du projet, cette transparence est surtout due à la pression exercée par 177 députés européens, en 2010. À l’origine, le bureau éthique avait ainsi décidé de “garder confidentielles les informations susceptibles d’avoir un effet négatif sur la réputation du projet” , selon le Parlement européen.

Aujourd’hui, Christoph Castex constate que “INDECT a retenu la leçon”, après avoir été la cible de nombreuses critiques, notamment de la part des Anonymous. “Tous nos projets se posent des questions éthiques“, affirme-t-il. Un projet de recherche a même pour but de “réfléchir aux limites de ce que la société peut accepter” : le projet DETECTER.

Selon différents membres des “groupes éthiques” rattachés aux projets de VSI, des conseils devraient être adressés aux “futurs utilisateurs” des technologies développées. Parmi ces conseils, la minimisation des données, c’est-à-dire l’utilisation du minimum de données personnelles possible et le floutage des visages, qui rendrait impossible tout “profilage“.

Reste à espérer que ces conseils seront pris en compte. Car si l’on en croit Rosamunde Van Brakel, chercheuse spécialisée dans les relations entre vidéosurveillance et société au Law Science Technology & Society (LSTS) de l’Université libre de Bruxelles, interrogée par Owni, ces technologies nous emmènent tout droit vers une société de type “Pré-crime” :

Le risque d’erreurs et de fausses accusations est élevé. Cela peut mener à une culture de la peur, à une société où le principe de présomption d’innocence serait perdu au profit de la méfiance généralisée. Certains “indicateurs de méfiance” pourraient être basés sur des hypothèses erronées et sur des préjugés. Dans ce cas, cela pourrait conduire à une catégorisation sociale et à une “discrimination algorithmique”.

Et de conclure : “Si le contrôle de ces technologies n’est pas béton, alors il faudra s’inquiéter, notamment de ce qui arriverait si elles étaient détournées de leur objectif initial.


Photo par surian Soosay (cc-by)

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La police contre les écoutes http://owni.fr/2012/12/06/la-police-contre-les-ecoutes/ http://owni.fr/2012/12/06/la-police-contre-les-ecoutes/#comments Thu, 06 Dec 2012 16:07:41 +0000 Pierre Alonso http://owni.fr/?p=127023

“C’est du délire, du délire !” Après les magistrats, les policiers haussent à nouveau le ton contre le futur système d’écoutes judiciaires. Dans leur ligne de mire : la main mise d’une entreprise privée, le géant Thales, sur des données extrêmement sensibles centralisées en un lieu.

La plateforme nationale des interceptions judiciaires (Pnij de son petit nom) devrait entrer en phase de test au premier semestre 2013, après plus de six ans dans des cartons scellés confidentiel-défense. Il est piloté par la délégation aux interceptions judiciaires, une structure du ministère de la Justice.

A l’Intérieur, tout le monde ne voit pas d’un bon œil une telle intrusion de la place Vendôme dans les enquêtes, comme l’a raconté Le Canard Enchaîné. Le géant français Thales a remporté l’appel d’offre en 2010, ce que les actuels prestataires ont contesté devant le tribunal administratif. Sans succès.

Dans le secret des écoutes

Dans le secret des écoutes

Une plateforme pour centraliser les écoutes, scruter le trafic Internet... Ce projet entouré de secret verra bientôt le ...

Des “réserves”

Dans quelques mois, le lien entre les officiers de police judiciaire et les opérateurs sera automatisé au sein de la PNIJ [Voir notre infographie]. Une réforme qui rassure fournisseurs d’accès à Internet et opérateurs de téléphonie, sujets à de fausses demandes de réquisitions. Mais la PNIJ stockera aussi le contenu des réquisitions. Impensables de confier des données aussi sensibles à une entreprise privée estiment de concert policiers et responsables nationaux de la cybersécurité.

Dans un courrier au secrétaire général du ministère de la justice daté de décembre 2011 qu’Owni a consulté, le directeur général de la police national d’alors, Frédéric Péchenard, se faisait l’écho de ces critiques. M. Péchenard écrit :

L’ANSSI [L’agence nationale en charge de la cybersécurite, NDLR] a émis des réserves sur l’infogérance et l’hébergement de la PNIJ par la société Thales.

Cette “fragilité” est aussi soulignée par “les services utilisateurs”, les policiers donc. Ils “s’interrogent sur la confidentialité du site d’Elancourt proposé par Thales et sur les mesures de sécurité qui seront prises, sachant que la PNIJ est une cible potentielle, du fait même de la concentration de données sensibles” indique Frédéric Péchenard dans son courrier.

Thales, gardien des clefs du temple

Au même moment, à l’automne 2011, un autre service s’est également “étonné” qu’un tel trésor atterrisse entre les mains d’une entreprise privée. La raison est un peu différente. Ce service parisien traitant de la délinquance financière craint que le gardien des clefs du temple, Thales, puisse avoir accès au contenu, les réquisitions et interceptions, ces “données sensibles” qu’évoquait pudiquement Frédéric Péchenard dans son courrier.

En creux, les craintes concernent l’étendue du pouvoir des administrateurs du système, des salariés de Thales qui auront accès à l’ensemble du système. Le projet prévoit pourtant que toutes les données soient chiffrées. En septembre, la délégation aux interceptions judiciaires évoquait devant Owni “un bunker sécurisé en béton armé”, certifié par les superflics de la DCRI (le FBI à la française). Insuffisant pour ses détracteurs : celui qui a créé le chiffrement pourrait le déchiffrer.

Le ministère de la Justice a-t-il pris en compte ces “réserves” ? Aujourd’hui, la délégation aux interceptions judiciaires “ne souhaitent pas répondre à nos question” arguant que “la relation de confiance” a été rompue avec la publication d’un document confidentiel-défense. Même son de cloche à l’ANSSI :

– Pas de commentaire.
- Pour quelle raison ?
- Pas de commentaire.

Nouvelle salve

Le nouveau gouvernement est décidé à poursuivre le projet. Selon nos informations, le cabinet du ministre de Manuel Valls l’a expliqué fin octobre lors d’une réunion consacrée à la PNIJ. La place Beauvau serait convaincue qu’il s’agit de la meilleure solution. Quitte à désavouer les futurs utilisateurs, consultés par les nouveaux grands chefs policiers.

La direction générale de la police nationale a demandé des rapports à plusieurs services dont la DCRI, la PJ et la préfecture de police de Paris, qui ont tiré une nouvelle salve de critiques. Remis au début de l’automne, les enquêteurs rappellent à nouveau le risque de concentrer en un seul lieu les données sensibles, évoquant le précédent WikiLeaks. A nouveau, ils rappellent le risque de les confier à une entreprise privée.

Thalès terre les écoutes

Thalès terre les écoutes

C'est sur son site d'Elancourt que Thalès, le géant de la défense française, garde précieusement la Plateforme nationale ...

Les services de police relèvent aussi que la PNIJ devra fonctionner 24h sur 24, 7 jours sur 7, sans souffrir de la moindre exception. La France ne compte que cinq systèmes avec de telles contraintes : la dissuasion nucléaire, la bourse, les réseaux électriques, la SNCF et l’aviation civile. Un défi technique, soulignent les policiers, que le personnel actuel ne pourra relever dimensionner ainsi en terme d’effectifs. Sauf bien sûr à recruter davantage ce qui augmenterait sensiblement l’ardoise, déjà salée.

Et encore, les coûts cachés sont nombreux. Le matériel qu’utilisent aujourd’hui les OPJ appartient aux quatre prestataires privés sous contrat avec l’Intérieur. Du matériel qu’il faudra renouveler. La PNIJ nécessitera aussi “une refonte totale du réseau national de transmission” écrivait Le Canard Enchaîné, citant “de grand chefs policiers”. Difficile d’obtenir une estimation du montant nécessaire, mais le ministère de l’Intérieur s’est dit conscient des coûts supplémentaires lors de la réunion de fin octobre.

Calembour

Un syndicat de police, Synergie Officiers (classé à droite) a pris la tête de la fronde contre la PNIJ, en interpelant par écrit le ministre de l’Intérieur [PDF]. Francis Nebot, le secrétaire national, redoute aujourd’hui de n’avoir pas été entendu. “Nous n’avons aucune information et sommes pourtant les premiers utilisateurs de la PNIJ” déplore-t-il.

Le système actuel ne fait pourtant pas l’unanimité, y compris au sein de la police. Certains proposent de garder le principe de la PNIJ pour des tâches de gestion. L’envoi des réquisitions passerait par la plateforme, mais le contenu serait directement renvoyé à l’officier traitant.

La plateforme ne contiendrait alors plus les précieuses “données sensibles”, sur lesquelles les policiers veulent garder la main mise exclusive, craignant une intervention de Thales, voire de l’exécutif. Ce qui a donné naissance à un calembour dans les services de police : “La PNIJ, c’est la plateforme de négation de l’indépendance de la justice”.


Photo par Misterbisson (cc-byncnsa) remixée par Owni /-)

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Les fab labs en route vers le Grand Soir http://owni.fr/2012/12/04/les-fab-labs-en-route-vers-le-grand-soir/ http://owni.fr/2012/12/04/les-fab-labs-en-route-vers-le-grand-soir/#comments Tue, 04 Dec 2012 15:39:17 +0000 Sabine Blanc http://owni.fr/?p=126922

Conférence de Sabine Blanc sur les Fab Labs au siège du PCF à Paris, le 2 décembre 2012. - cc Ophelia Noor/Loguy (logo via le site officiel des fablab du MIT)

Si le PC vous auditionne aujourd’hui sur les fab labs, c’est d’abord parce que Yann Le Pollotec n’a pas arrêté de nous faire chier. (rires)

Plus sérieusement, le parti s’interroge sur les rapports entre écologie et production. Pierre Laurent, notre secrétaire national, a prononcé un discours important à ce sujet à Lille récemment. On est communiste, donc on est pour le partage. On est communiste, donc on est pour la révolution, et nous avons saisi le caractère révolutionnaire de ces outils présents dans les fab labs.

Hier, j’ai passé trois bonnes heures devant une poignée de membres du Parti communiste français, dont quelques cadres, pour leur expliquer en quoi consistait les fab labs, ces espaces collaboratifs de prototypage rapide nés au MIT qui font fantasmer aussi bien à droite qu’à gauche en raison de leurs supposées vertus à répondre aux défis posés par les crises actuelles. Cette audition était organisée par le LEM, ce Lieu d’Étude sur le Mouvement des idées et des connaissances, think tank (sic) du PC, au siège parisien place Colonel-Fabien, hiératique et surréaliste bulle temporelle tout droit sorti d’un James Bond période Sean Connery.

“Enfin !”, avais-je soupiré quand Yann Le Pollotec m’avait contactée à ce sujet voilà deux mois, suite à un article que j’avais écrit dans Le Monde diplomatique. Que le PCF s’empare avec passion de ces lieux où les citoyens se réapproprient les outils de production et donc les savoir-faire, fab labs mais aussi hackerspaces et makerspaces, me semblait une évidence. Et une opportunité pour donner un coup de fouet à un appareil qui ne brille pas par son image avant-gardiste. Le papier du Monde diplo commençait d’ailleurs par un appel du pied en forme de clin d’œil :

Se réapproprier les moyens de production : Karl Marx en rêvait, un chercheur du Massachusetts Institute of Technology (MIT) l’a fait.

Troisième révolution industrielle

Fête le vous-même !

Fête le vous-même !

Sur le modèle des Maker Faire, ces grands rassemblements dédiés au do it yourself, version moderne du bricolage de nos ...

Avec Yann, le courant est passé très vite. Je précise parce que, comme pas mal de gens, la seule chose qui m’étonne au PC, c’est sa survivance persistante. Alors qu’une élection interne foireuse vient de mettre en l’air la formation qui dirigeait naguère le pays. Ma dernière expérience avait été malheureuse : Owni souhaitait organiser à la Fête de l’Humanité le premier Open Bidouille Camp, un grand rassemblement populaire dédié au bricolage, et en particulier ses avatars modernes boostés au numérique. Nous avions essuyé un refus non motivé.

Informaticien de profession, collaborateur de Jacky Hénin à la commission du Parlement européen sur l’industrie, et permanent du PC, Yann est un peu désolé de la mésaventure, lui qui dépense une partie de son énergie sur ces thématiques. Pour préparer l’audition, il me fait un petit historique. Le message essentiel : pédagogie.

J’ai fait une première intervention là-dessus il y a un an en comité central, la réaction a été : c’est quoi ce truc ?

En guise de métaphore sur le ton à adopter, il m’évoque l’exemple de Galilée plaidant en italien plutôt qu’en latin pour toucher un maximum de gens. Faire le même travail d’explication qu’au moment de l’arrivée de l’Internet grand public.

Conférence sur les fab labs au PCF, un réseau wifi nommé Niemayer et Hello Kitty au PCF. (cc) Ophelia Noor

Lui-même débroussaille le terrain pour ses camarades, comme en témoigne l’épais dossier qu’il me tend. Il a entre autres glissé un paragraphe dans le texte qui servira de base à la discussion au prochain congrès du PC en février et qui est envoyé à tous les adhérents, soit environ 130 000 personnes :

Sous la crise du capitalisme émergent déjà les prémisses d’une troisième révolution industrielle avec l’impression 3D, les machines auto-réplicatives libres, l’open source hardware, les mouvements hackers et maker. Ainsi se créent et se développent des lieux de conception et de proximité en réseau, ouverts et gratuits, où l’on partage savoir et savoir-faire, où l’on crée plutôt qu’on ne consomme, où l’on expérimente et apprend collectivement, où le producteur n’est plus dépossédé de sa création, tels les fab labs qui sont les moteurs de ce mouvement.

Toutes ces avancées portent en elles des possibilités de mise en commun, de partage et de coopération inédite.

En bullshit langage théorique, il est temps au PC de “dépasser la vieille opposition entre les économistes portés sur la révolution informationnelle et ceux qui soutiennent la révolution scientifique et technique, s’enthousiasme Yann, c’est le cœur de la troisième révolution industrielle”.

Les Fab Labs, ou le néo-artisanat

Les Fab Labs, ou le néo-artisanat

Fabriquer soi-même ce dont on a besoin, réparer, au lieu de consommer des objets que l'on jette au moindre ...

Au MIT, ça se traduit par le “Center for bits and atoms“, structure créée en 2001 par Neil Gershenfeld pour accompagner le développement des fab labs, “une initiative interdisciplinaire explorant l’interface entre les sciences de l’informatique et les sciences physiques”.

Tâche d’autant plus ardue que le concept de troisième révolution industrielle ne fait pas consensus, y compris au sein du PC : “C’est très centré sur l’énergie, détaille Yann. Il y a aussi la question du capital en suspend. On ne peut pas vivre d’amour et d’eau fraîche, il faut une réponse au salariat.”

Gros blanc

Malgré toutes ces bonnes précautions, il y a eu hier comme qui dirait un choc des cultures, des logiques, des démarches. Parler à des militants dans une logique de parti, je sais pô faire, contrairement à la Fing par exemple. Faire la politique se limite dans mon esprit à écrire des articles sur des sujets qui me semblent porter en germe les fondements de la société de demain, en assumant un coté militant. Passer un peu à la pratique aussi, en organisant des Open Bidouille Camp.

Pour le reste, j’ai une fâcheuse tendance à botter en touche en permanence, de préférence en mode pirouettes faciles. Bref du trolling. Chacun son tour : j’avais moi-même essayé de convaincre Okhin, de Telecomix, qu’il avait une conscience politique, il m’avait répondu dans un éclat de rire : “on est une inconscience politique !”

Conférence sur les Fab Labs au siège du PCF à Paris, le 2 décembre 2012. Avec Sabine Blanc et Yves Dimicoli - cc Ophelia Noor

Après une présentation, le temps d’échange a donc parfois donné lieu à des dialogues de sourds, à l’image de la première longue question posée par Yves Dimicoli, économiste, membre de la commission économie-social-finance du PCF et impeccable moustache à la Frères Jacques. Il parle de “valeur d’usage”, de “maîtrise du processus”, pour finir par :

Comment fait-on pour court-circuiter le marché ?

Le CAC40 entre dans les “fab labs”

Le CAC40 entre dans les “fab labs”

Des grands groupes industriels s'intéressent aux "fab labs", ces mini-usines collaboratives, citoyennes, ouvertes à tous et ...

Et là, gros blanc, vieux souvenirs d’oraux foireux où j’ai mouliné dans ma tête les termes de mon interlocuteur pour constater avec désarroi que mes réponses en forme de Y ne rentrent pas dans sa question en forme de X. Et c’est d’autant moins le cas que :

1/ Je n’ai rien contre le marché et le capitalisme en général.

2/ Comme l’indique clairement leur charte, il n’est pas question avec les fab labs de s’en passer. Certes, Neil Gershenfeld veut “créer plutôt que consommer”, mais ça n’en fait pas pour autant un fils spirituel de Karl Marx.

3/ Il faudrait des heures pour élaborer une réponse complète.

Aussi judicieuses soient-elles, il y a beaucoup d’interventions dont je ne sais si ce sont des observations, des questions, des observations qui amènent réponses. Par exemple Claude Ginin, la soixantaine, petite veste de tweed :

Cela pose la question de la formation, il faut bien apprendre comment marchent les machines pour savoir ce qu’on peut en tirer. [...] Vous avez dit que les fab labs actuellement ne sont pas complètement coupés du marché. Mais du coup, qu’est-ce qui domine ?

Et de relever au passage que le marché n’a pas toujours existé. Il y a aussi cette remarque de Santiago Serrano, adjoint délégué au développement économique et commercial, à l’emploi et aux nouvelles technologies au Blanc-Mesnil, que ne démentiront pas les levées de fonds de Co-voiturage.fr ou MakerBot par exemple :

Il y a le danger du développement d’un marché de la valeur d’usage.

Sabine Blanc sous le feu des questions d'Yves Dimicoli, économiste et membre de la commission économie-social-finance du PCF (cc) Ophelia Noor

Yves Dimicoli relance :

Nous sommes à la recherche d’une nouvelle systémique. Comment on aide à développer ce potentiel ?

Je leur répète que c’est à eux de s’emparer de ces lieux pour leur faire suivre la pente qui leur parait la plus juste. Un peu lassée :

Il y a une valeur importante chez les hackers, ça s’appelle la do-ocracy, le pouvoir à ceux qui font. Organisez des visites, expérimentez, soutenez ceux qui, comme Yann, portent des projets

Parmi les soutiens de Yann, il y a Elvire. Elle souhaite mobiliser les jeunes autour du futur fab lab via la robotique. Le motto de la troisième révolution industrielle l’accroche. Avant l’audition, elle m’a expliqué avant avec franchise :

Ne pas être en retard pour une fois.

Conférence sur les fab labs au siège du PCF à Paris le 2 décembre 2012 (cc) Ophelia Noor

Devant ses camarades, elle précise sa démarche :

Je vois les fab labs comme une plate-forme de réflexion pour réinterroger une population en lui mettant une expérience à disposition : comment se l’approprient-ils ? Créent-ils du lien social ? La détournent-ils ? C’est une mise en abyme. Comment une population peut percevoir une mairie dirigée par un maire communiste ? Ils ne font plus la différence depuis le temps.

Mais au fait que font l’UMP, le PS, les Verts ?

Et si je trolle parfois, si nous ne parlons pas la même langue toujours, c’est avec plaisir que la conversation se poursuivra autour d’une bière. Le sujet les a passionnés visiblement, les enjeux ont été compris, bref le message est passé. Je ne sais pas si l’UMP, le PS ou les écolos ont organisé de semblables débats. Et Michel Laurent, qui s’occupe du LEM, pointe avec justesse les limites de ma démarche du “juste fais-le” et des petits pas : à un moment donné, il faut passer à la vitesse supérieure.

Vous me faites penser à la chanson de Coluche : “je ne promets pas le grand soir, juste à manger et à boire.” C’est bien mais aujourd’hui, ils servent 8 fois plus de repas. Nous, on veut le grand soir.

Et force est de reconnaitre que sur ce terrain, ça se passe plutôt en Chine ou en Russie qu’en France, avec des fonds conséquents investis par l’État. En attendant que mille fab labs fleurissent dans les villes PC, je leur suggère d’en faire un mobile à la prochaine Fête de l’Huma. Au sein d’un Open Bidouille Camp ? Yann se marre :

Il y aura une recommandation du conseil national, même si ça suffit pas forcément !


Photos par Ophelia Noor /-) Toutes les photos sont visibles ici.

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Un bouquet de bambous pour sauver des vies http://owni.fr/2012/11/30/un-bouquet-de-bambous-pour-sauver-des-vies/ http://owni.fr/2012/11/30/un-bouquet-de-bambous-pour-sauver-des-vies/#comments Fri, 30 Nov 2012 12:00:20 +0000 Geoffrey Dorne http://owni.fr/?p=126887

Dans sa conférence TED, notre designer humoriste français Philippe Stark expliquait qu’à notre époque, être designer c’est être totalement inutile. Ce à quoi je répondrais qu’à notre époque et à l’avenir, être designer c’est choisir de se rendre utile et pourquoi pas indispensable.

Mine Kafon

Je vous présente aujourd’hui le fabuleux projet “Mine Kafon” créé par Massoud Hassani. Cet objet volumineux qui ressemble à la balle qu’un chat immense aurait perdu dans le désert est conçu pour être posé au sol et pour rouler à travers les champs de mines non défrichés… en faisant ainsi exploser les mines anti-personnelles oubliées. Une idée brillante, simple et percutante fabriquée à partir de matériaux légers comme le bambou, et qui vise à permettre aux populations locales de se réapproprier leurs terres afin de les utiliser en toute sécurité. Tout simplement pour cultiver, pour voyager, pour vivre.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Vous l’aurez compris, cette balle immense n’explose pas quand la mine se déclenche mais elle absorbe le choc et continue à rouler jusqu’à la prochaine mine pour la faire exploser. Dans le détail, la balle est constituée de trois parties:

  • - le noyau sphérique
  • - 70 tiges de bambou qui sortent de celui-ci
  • - des embouts noirs et ronds pour les pieds de ces tiges de bambou.

Point particulièrement intéressant entre tous, Mine Kafon envoie et diffuse en permanence sa localisation, capturée par un GPS, traçant alors des chemins “libres” sans mine qu’il est possible de conserver.

Retour sur le principe d’une mine

En design, pour concevoir un objet pertinent, utile et dont la forme est à la hauteur de sa fonction, il faut bien comprendre le terrain dans lequel on agit, il faut même parfois devenir un spécialiste de son sujet. Ainsi, pour comprendre Mine Kafon, rappelons le principe d’une mine anti-personnelle. Cette mine est composée d’un dispositif de mise de feu qui se déclenche sous une action extérieure (le passage d’un véhicule, d’une personne ou d’un animal…) et émet une flamme qui aura pour effet de produire une petite explosion ; le rôle de cette petite explosion est déclencher la charge principale – la grosse explosion. La mine elle est également composée d’un dispositif de sécurité (goupille, bouton, fourchette, etc.). L’effet de souffle peut également endommager et projeter des fragments alentour.

Pour neutraliser l’engin, l’idée de Mine Kafon est, d’une part de déclencher la mise à feu (le poids de l’objet doit être suffisant) et, d’autre part, d’absorber le souffle pour éviter d’être projetée. Et éventuellement de limiter les éclats, les projectiles.

De plus, pour assez incroyable que cela puisse paraître, Mine Kafon est assez légère pour qu’une brise légère puisse simplement la pousser.

Le designer au service d’une cause.

Massoud Hassani a échappé à la guerre en Afghanistan alors qu’il avait 14 ans. C’est cette histoire qui l’a conduit à avoir une posture dans son métier. Son but était de trouver un moyen de faire disparaître ce fléau de sa ville natale, où sont encore présentes des milliers de vieilles mines soviétiques.

Quand nous étions jeunes, nous avons appris à faire nos propres jouets. Un de mes favoris était une petite éolienne roulante. Nous faisions des courses les uns contre les autres dans les champs autour de notre quartier. Il y avait toujours un fort vent s’agitant vers les montagnes. Alors que nous faisions la course, nos jouets ont roulé trop vite et trop loin et ont atterri dans des zones où nous ne pouvions pas aller les chercher en raison des mines. Je me souviens encore de ces jouets que j’avais fait et que je regardais aller au-delà de la zone où nous pouvions aller.

Détournement & matériaux

Construit en matière plastique biodégradable et en bambou avec un cœur informatique contenant un GPS, Mine Kafon s’inscrit dans la tendance du DIY. J’imagine très bien que Massoud Hassani puisse mettre en open source le code informatique qui analyse les données GPS mais également les plans de sa boule afin que chaque communauté concernée puisse recréer son propre démineur collectif.

Designers Bidouilleurs anti-guerre !

Hassan n’est pas le seul à se poser la question des armes, de la guerre et de ce que cela provoque. En effet, de nombreux designers, plasticiens, hacktivistes et artistes prennent des initiatives pour dénoncer et agir. Un exemple avec ce livre de coloriage qui dénonce les violences policières ou encore ce site intitulé “NukeMap” pour comprendre et visualiser l’impact des bombes nucléaires.

D’autres comme Mona Fawaz, Ahmad et Mona Harb Gharbieh se sont concentrés sur Beyrouth et ont cartographié les conflits armés pour en rendre compte à la population. Enfin, les bombes sont parfois détournées pour faire du bien à la planète.. et ça, parfois, ça me laisse rêveur.

Soutenir le projet

Pour finir ce “Vendredi c’est Graphism”, je vous invite à vous rendre sur la page du projet pour le soutenir. En effet, parfois, cet objet étrange perd un peu de ses jambes de bambou lorsqu’il explose et coûte au total une quarantaine d’euros. Une de ces “Mine Kafon” a été acquise par le MoMA et sera présentée en mars 2013.

Massoud Hassani est actuellement à la recherche de partenaires financiers et des collaborateurs pour apporter leurs idées dans la production.

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Dans cyberguerre, il y a guerre http://owni.fr/2012/11/29/dans-cyberguerre-il-y-a-guerre/ http://owni.fr/2012/11/29/dans-cyberguerre-il-y-a-guerre/#comments Thu, 29 Nov 2012 14:24:02 +0000 Pierre Alonso http://owni.fr/?p=126699

Prononcez le mot cyberguerre. Attendez un peu. Un débat enflammé ne devrait pas tarder. La dernière couverture de L’Express (à l’iconographie soignée) n’a pas manqué de souffler sur les cybertisons, jamais vraiment éteints.

Révélant le modus operandi de l’attaque qui a touché l’Élysée en mai dernier, l’hebdomadaire surtitrait sa première page “CYBERGUERRE” en lettres capitales. L’Express affirme aussi que l’attaque a été menée par les États-Unis. Depuis les réactions ont fusé. Sur les faits décrits et sur le fond : est-ce là “le futur des conflits” comme l’affirme Christophe Barbier, le directeur du journal ?

Thomas Rid, chercheur au King’s College de Londres, a décortiqué tous les exemples de la prétendue cyberguerre. Aucun ne passe à l’examen des faits selon lui. D’autres adressent une critique structurelle au concept. Puisqu’elle est cyber, elle ne peut être guerre. Pour l’instant ou pour toujours.

Les observateurs sont pour le moins clivés, et la rédaction d’Owni n’échappe pas à la règle. Pour y voir plus clair, nous avons voulu laisser le “cyber” de côté pour se concentrer sur l’objet du litige : la “guerre”.

Cybermorts

Dans son édito vidéo, Christophe Barbier reconnaît le caractère spécifique de la cyberguerre : “une guerre qui fait peu ou pas de dégâts humains”. Un oxymore selon plusieurs politologues que nous avons interrogés.

Jean-Vincent Holeindre, maître de conférence en sciences politiques à Paris II, travaille sur la pensée militaire. Il rappelle que chez Clausewitz, la guerre est d’abord “un duel des volontés”. C’est la définition minimaliste. Deux piliers viennent l’enrichir : l’usage de la violence et le motif politique.

Régis Lanno, doctorant en sociologie à l’université de Strasbourg, précise :

Même s’il est difficile de définir de façon essentialiste la guerre, en raison des changements de moyens et d’outils dans l’histoire, des invariants demeurent. La guerre correspond à l’administration de la mort à l’extérieur d’un groupe (famille, communauté, clan et plus tard la Nation).

Point de guerre sans mort violente : deux volontés contradictoires s’opposent en mobilisant la violence armée. Mais l’administration de la mort doit répondre à une volonté politique. La criminalité, même violente, n’est pas la guerre. “La guerre consister à utiliser la violence ou la menace de la violence pour contraindre l’ennemi à se plier à sa volonté. Pour reprendre la définition de Clausewitz, la guerre est un acte de violence politique pour faire triompher sa volonté” ajoute Régis Lanno.

La définition restrictive utilisée en sciences sociales se distingue de l’emploi familier, de l’imaginaire collectif. Jean-Vincent Holeindre rappelle que “la perception de la guerre selon le sens commun est façonnée par la mémoire des guerres du XXe siècle, surtout les deux guerres mondiales.” Des guerres entre des États, entre des puissances industrielles, utilisant des armes sophistiquées. D’autres formes de guerre existent, nuance Jean-Vincent Holeindre. Les guerres asymétriques par exemple, qui opposent un groupe (des insurgés) à un pouvoir central.

Cyberconflit

“La guerre est le paroxysme du conflit” précise le chercheur. Le conflit comprend des gradations : de la dispute familiale à la grève de salariés. C’est plutôt quelque part dans ce panel que devrait figurer la cyberguerre, le cyberconflit donc.

Pour Régis Lanno, les victimes physiques sont cruciales pour employer le terme guerre : “En l’absence de mort dans le camp ennemi, la cyberguerre relève du conflit. L’objectif est plus de neutraliser l’ennemi que de l’anéantir physiquement.”

Du sabotage. Jean-Vincent Holeindre insiste :

Le sabotage est une stratégie militaire, un élément particulier d’un ensemble plus large qui relève du renseignement. Tout en se protégeant des attaques de l’adversaire, la partie au combat essaie de saboter l’arsenal ennemi pour le désorganiser et faciliter l’usage de la force.

Les exemples sont légions de cybersabotage et d’utilisations tactiques de cyberattaques : contre la Géorgie en 2008, la Russie a ciblé des sites internet officiels avant de mener sa campagne au sol. Stuxnet, le logiciel malveillant fabriqué par les États-Unis et Israël dans le cadre du programme “Olympic Games”, a permis de retarder le programme nucléaire iranien. Mais l’acte de sabotage ne suffit pas à lui seul pour qualifier l’acte de “cyberguerre”. Sauf si la cible de l’attaque s’estime victime d’une agression.

Cyber Lex, Sed Lex

On quitte alors l’univers théorique de la pensée politique pour entrer dans le domaine du droit. Yves Sandoz est professeur retraité de droit international humanitaire à Genève et Fribourg. Il rappelle “[qu']une définition a contrario de la guerre est posée dans la charte des Nations Unies adoptée en 1947″. La charte proscrit le recours à la violence pour régler des différends : fini les guerres d’agression (en principe), fini les déclarations de guerre en bonne et due forme.

À côté de l’évolution normative, Yves Sandoz note un changement de la nature des guerres aujourd’hui :

Les conflits internes de très haute intensité augmentent, comme au Mexique par exemple. Il s’agit d’un conflit criminel très violent. L’utilisation du terme “guerre” a aussi été dévoyée dans des expressions comme la “guerre contre la terreur” ou “la guerre contre la pauvreté”.

Juridiquement, une cyberattaque peut être considérée comme un acte d’hostilité, donc enclencher les mécanismes de légitime défense encadrés par la charte des Nations unies. “Mais il faut respecter le principe de proportionnalité” modère Yves Sandoz.

En somme, le piratage d’un site officiel peut difficilement entraîner un bombardement aérien en riposte… Les États-Unis l’ont annoncé l’année dernière : ils se réservent le droit de considérer une cyberattaque comme un acte de guerre, et d’y répondre par des moyens conventionnels.

Cyberrégulation

La cyberguerre froide

La cyberguerre froide

Les États-Unis gardent aujourd'hui la main sur certaines fonctions essentielles du Net. Au grand dam de quelques nations, ...

L’idée d’un traité sur la cyberguerre progresse. La Russie plaide depuis 1998 en faveur d’un traité international interdisant l’utilisation du cyberespace à des fins militaires. Mais obéissant à une logique de rapport de force. Moscou ne pense pas pouvoir rivaliser avec les autres États dans le cyberespace, dès lors mieux vaut que le cyberespace soit pacifié…

Champ de bataille, le cyberespace ne peut échapper aux garanties prévues par le droit. Caractériser une cyberattaque entraîne l’application du droit international humanitaire, plaide le Comité international de la Croix Rouge. La question n’est alors plus de savoir si la cyberguerre est possible, mais d’admettre qu’elle l’est pour éviter une zone grise non-codifiée, dans laquelle les belligérants pourraient nier l’existence de toutes règles et inventer un cyber-far-west.

Responsable des recherches sur les question cyber au CICR, Cordula Droege considère les cyberattaques comme “des moyens et des méthodes de guerre qui reposent sur les technologies de l’information et sont utilisées dans un contexte de conflit armé au sens du droit humanitaire”.

Cordula Droege émet des réserves sur la possibilité d’attribuer une cyberattaque et sur la nature des objectifs visés, qui ne doivent pas être civils conformément au droit international humanitaire. Ces nuances posées, elle écrit :

Si les moyens et les méthodes de la cyberguerre produisent les mêmes effets dans le monde réel que les armes conventionnelles (destruction, perturbation, dégâts/dommages, blessé, morts), ils doivent être gouvernés par les mêmes règles que les armes conventionnelles.


Photo par Leg0fenris [ccbyncnd]

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Vers une fiscalité des données http://owni.fr/2012/11/28/vers-une-fiscalite-des-donnees/ http://owni.fr/2012/11/28/vers-une-fiscalite-des-donnees/#comments Wed, 28 Nov 2012 18:48:53 +0000 Andréa Fradin http://owni.fr/?p=126758

“Les données personnelles sont le nouveau pétrole de l’internet”. Et pourquoi pas aussi le levier d’une nouvelle fiscalité en France ? Selon nos informations, la mission chargée de réfléchir à une “fiscalité du numérique” et baptisée “Colin et Collin” du nom de ses deux auteurs, s’oriente vers une imposition déterminée par la politique des entreprises en matière de données personnelles. Qui dépasse donc largement le seul secteur numérique.

Coup de tonnerre pour tous ceux qui se frottaient déjà les mains à l’idée de prélever les seuls “GAFA” (Google, Amazon, Facebook et Apple), championnes de l’optimisation fiscale : le projet des deux rapporteurs impliquerait en effet toutes les firmes qui disposent d’informations sur leurs utilisateurs. Au-delà des géants du web, EDF, GDF, La Poste mais aussi les banques, les assurance ou les groupes de distribution alimentaire… bref ! toute activité suivant de près les faits et gestes de sa clientèle.

Une idée originale dans le débat plus connu sous le sobriquet réducteur mais significatif de “Taxe Google” et sur lequel nombre se sont déjà cassés les dents. Et qui ouvre autant de perspectives que d’interrogations, en matière de compétitivité comme de protection des données.

Fiscalité des données

Le principe est simple : plus l’entreprise met à disposition les données qu’elle récolte, moins elle est taxée.

Le tout, sous contrôle de l’utilisateur. Qui pourrait ainsi accéder librement et par lui-même aux nombreuses informations laissées aux services auquel il souscrit. Cartes de fidélité, comptes bancaires, relevés de consommation électriques ou de gaz : les exemples ne manquent pas. Et alimentent déjà de nombreuses réflexions. “Smart Disclosure” aux États-Unis, “MiData” outre-Manche ou “Mes Infos” en France : tous ces mouvement visent à instaurer le partage des données personnelles. La FING, qui pilote le projet par chez nous, le résume en ces termes :

Si j’ai une information sur vous, vous l’avez aussi. Et vous en faites ce que vous voulez.

Le “customer empowerment” (donner davantage de pouvoir au consommateur) a donc déjà fait son petit bonhomme de chemin, sans jamais servir néanmoins de terreau fiscal. C’est là que la mission Colin et Collin intervient.

Car son intérêt n’est pas là – même si elle pourra toujours s’appuyer, dans l’avenir, sur cet argument séduisant d’un open data citoyen et personnalisé. Son objectif est d’abord de repérer de la valeur. Et de l’imposer. C’est le deuxième volet de la démarche : l’espoir que cette ouverture des données génère de l’innovation. Que des entreprises se saisissent de l’opportunité pour créer de nouveaux services. De la même manière qu’on installe une application tierce utilisant Facebook, l’utilisateur pourrait par exemple autoriser que des boîtes exploitent le volume de leur consommation de gaz ou la composition de leur caddy après passage en grande surface. L’objectif d’une telle imposition serait donc incitatif, à l’instar des taxes liées à l’environnement.

Un terrain à creuser, pour y trouver un véritable filon. Pour beaucoup, la manne serait gigantesque : “28 milliards de dollars (22 milliards d’euros) [selon] le cabinet Gartner pour 2012, et 36 milliards pour 2013″ souligne Julie Battilana, professeure associée à la Harvard Business School, dans un article paru il y a peu dans Le Monde et qui se penchait précisément sur la “mine d’or du Big Data”. Même son de cloche du côté du cabinet McKinsey, souvent cité en la matière, qui y voit “la prochaine frontière pour l’innovation, la compétition et la productivité”.

e-TVA

Un modèle qui aurait en plus l’avantage de s’étendre : si Facebook, Twitter, Google et consorts en font d’ores et déjà leurs fonds de commerce, l’ensemble des secteurs économiques exploitent aussi d’immenses bases de données, issues de leur clientèle.

Autant dire que si elle se concrétise, la piste privilégiée par la mission fiscalité numérique frappera un grand coup. A la manière de la TVA, dont se réclamait récemment l’un de ses rapporteurs, Nicolas Colin, dans les pages de Telerama :

Dans les années 1950, face à la complexification des échelles de production, on a créé la TVA, un impôt complètement nouveau. Aujourd’hui, c’est celui qui rapporte le plus d’argent à l’Etat. Il nous faut quelque chose d’aussi structurant.

Contacté par Owni, l’énarque refuse de communiquer avant toute publication du rapport. Mais le sujet ne lui est pas étranger. Bien au contraire.

Dans L’Âge de la multitude, co-écrit avec l’entrepreneur Henri Verdier, Nicolas Colin tentait déjà de trouver “la définition d’une fiscalité propre à l’économie de la multitude”. Autrement dit de cette masse d’individus connectés dont les créations et les interactions sont présentées comme générateurs de la précieuse “la valeur” :

[...] un État est fondé à imposer les revenus issus de l’activité en ligne de la multitude qui réside sur son territoire. Il s’agit d’une sorte d’impôt sur la multitude : un impôt sur la valeur créée par les résidents sur le territoire mais captée par une entreprise privée.

Pas gagné

CQFD. En ce qui concerne l’idée. En pratique, la suggestion d’une fiscalité des données risque d’être consciencieusement bousculée si elle se confirme lors du dépôt des conclusions de la mission, en décembre prochain.

Les détails de sa mise en œuvre, en particulier, risquent de compliquer la tâche. “L’esprit de la démarche est ambitieux et pertinent mais l’application me semble très complexe”, confiait un proche du dossier à Owni. Comment mesurer l’ouverture des entreprises ? La taxe va-t-elle être calculée en fonction de cette ouverture ou en fonction du nombre d’utilisateurs du service ? Les interrogations pratiques sont légion.

L’impact, au-delà des frontières du web, risque aussi de faire des vagues. Pas sûr que les entreprises françaises apprécient d’être enrôlées dans une réflexion lancée pour tacler en priorité les Yankees du Net. Surtout qu’il s’agit ici d’ouvrir le porte-monnaie. Et que le climat actuel est plus propice à une guerre de territoires et d’influence, chaque secteur cherchant à reporter sur le voisin la charge de son financement. C’est particulièrement vrai pour la culture ou les fournisseurs d’accès à Internet (FAI), mais ça l’est aussi pour la presse, qui cherche à ponctionner une partie du trésor de Google.

Reste aussi à savoir ce qu’en pense l’une des principales concernées par le sujet, à savoir la Cnil. Car qui dit “données personnelles” dit supervision de la gardienne de la vie privée. Gardienne qui, toujours selon nos informations, n’auraient pas encore eu la possibilité d’échanger avec la mission fiscalité numérique sur des pistes qui la concernent pourtant au premier plan. Et qui nécessiteraient, si elles sont appliquées, une sérieuse révision de ses moyens. Contactée par Owni, la Cnil n’a pas donné suite à nos sollicitations.

Il y a quelques jours, la Présidente de l’institution, Isabelle Falque-Pierrotin déclarait néanmoins dans une table ronde organisée par Google : “les données, c’est le carburant de l’économie numérique”. Signe que la Cnil prend en compte le potentiel compétitif des données. Et que la porte n’est donc pas complètement fermée aux propositions de la mission Colin et Collin.


Illustration Pixel Fantasy [CC-byncnd]

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Mesure ta pollution http://owni.fr/2012/11/26/mesure-ta-pollution/ http://owni.fr/2012/11/26/mesure-ta-pollution/#comments Mon, 26 Nov 2012 12:06:38 +0000 Sylvain Lapoix http://owni.fr/?p=126646

Citoyens capteurs - Photo CC bync Pierre Metivier

À peine arrivé à la table matinale de ce café parisien, Gabriel Dulac sort son tournevis pour offrir au regard le contenu du capteur citoyen de qualité de l’air. À l’intérieur de cette espèce de boîtier gris EDF, gros comme une boîte à sucre, le strict minimum vital : un mini ordinateur, deux capteurs, une batterie et une clef 3G pour transmettre les données. Le tout en “full open hardware”, terme que répète avec méthode Olivier Blondeau, docteur à Sciences Po : “présenter l’objet ouvert fait partie de notre démarche”. Né de la rencontre de ce duo de Labo citoyen et de l’association Respire, le projet Citoyens capteurs vise à rendre abordable pour 200 euros un système fiable de relevé de la qualité de l’air, avec plans et données en format open source.

L’idée de mesures à l’échelle citoyenne n’est pas inédite. Avec la catastrophe de Fukushima, la nécessité d’un réseau de capteurs complémentaire de celui des pouvoirs publics (dépassés par les besoins d’information sur l’étendue des dégâts radiologiques) a amené à la constitution de toute une infrastructure associative de recueil des taux de radioactivité, le réseau Safecast. Une idée qui avait déjà été celle de la Criirad en France et pour le même indicateur.

Expertise

Lancé sur le champ de la mesure de qualité de l’air, Labo citoyen et Respire ont également pu s’inspirer d’autres initiatives ayant défriché le terrain des capteurs à bas coût et de la mise à disposition de données, comme AirQualityEgg.

Mais si la mesure de radioactivité ne nécessite que le recueil d’une variable (le nombre de désintégrations de noyaux radioactifs, exprimé en Becquerel), celle de la qualité de l’air porte sur une quantité de composantes : ozone (O3), particules fines et dioxyde d’azote, pour ne citer que les seuils clés. Or, pour rendre les données recueillies comparables à celles des organismes reconnus, le capteur citoyen de qualité de l’air se devait de répondre aux normes admises et donc d’aligner une haute qualité de mesure. Une expertise disponible uniquement chez les organismes eux-mêmes, ce qui a amené Gabriel à discuter directement avec AirParif :

En deux heures de discussion, nous avons gagné cinq mois d’expertise. Au départ, nous mesurions les microparticules en volume, sauf que le seuil est en poids et que la densité peut varier du tout au tout au moindre changement de température.

Si AirParif refuse l’idée d’un “label”, l’association agréée de mesure de qualité de l’air parisien a ouvert ses labos aux prototypes de capteurs citoyens, suivant une démarche détaillée par sa directrice de la communication Karine Léger :

Cette initiative s’inscrit pour nous dans la continuité de notre mission : en complément de notre réseau de soixante capteurs en Île-de-France, placés dans des zones représentatives, nous souhaitons obtenir des mesures dans les zones d’exposition des gens. Depuis 2006, nous avons déjà fait des tests dans les habitacles des automobiles, dans les transports en commun (ou avec des tubes tests) sur des citoyens volontaires tout au long de la journée. À chaque fois, il s’agissait de versions réduites de nos capteurs principaux. Nous opérons un échange d’expertise scientifique sur les capteurs citoyens afin qu’ils puissent produire des données qui complètent les nôtres.

En pratique, les capteurs d’AirParif sont disposés dans des endroits représentatifs, permettant d’élargir la mesure par des outils de modélisation. Carrefour d’Alésia, dans le XIVe arrondissement, un capteur mesure ainsi les émission sur un “grand rond-point congestionné de Paris” tandis que, le long du boulevard périphérique, deux points de mesure évaluent la qualité de l’air à la frontière de la capitale.

Anti-Linky

La démarche des citoyens capteurs n’est cependant pas strictement scientifique. Derrière le concept de “full open hardware”, le projet tout entier s’inscrit dans une logique d’ouverture à la réappropriation et à la contribution citoyenne : chaque pièce (du mini ordinateur Rapsberry Pi aux outils de mesure) est listé sur le wiki [en], le code de la base de données recueillant les mesures est disponible sur le réseau social Github… Et le tout en licence ouverte et réutilisable. Une démarche d’ouverture totale du dispositif que Labo citoyen et Respire souhaitent accompagner mêlant formation technique, exposé médical sur les dangers de la pollution atmosphérique et initiation à la chimie de l’air urbain.

Nous sommes dans l’anti-Linky, ironise Olivier Blondeau. EDF nous propose un boîtier fermé, dans lequel personne ne sait ce qu’il y a et qui communique des informations qui vous concernent mais uniquement à EDF. Là, tout est ouvert et disponible pour l’amélioration et la réappropriation.

L’interprétation même des données est laissée à l’imagination et aux besoins des utilisateurs. Chercheuse à l’université Paris-III en Sciences de la communication et associée au projet, Laurence Allard inscrit cette démarche dans une réappropriation politique de l’objet à rebours du transhumanisme :

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Chacun peut mettre en scène les données à sa guise : pour une manifestation, nous avions fixé un haut-parleur qui hurlait les résultats, pour une autre, un téléscripteur qui les crachait comme un sismographe… Nous ne sommes pas dans une machinisation des humains mais dans un outillage de l’homme par la machine. Il ne s’agit pas d’un objet mais d’une expertise embarquée qui vise à donner à chaque citoyen une capacité d’empowerment) politique grâce à l’Internet des objets.

Bottom-up

Dans la perspective d’un déploiement plus large, l’ingénieur de la bande a déjà prévu de permettre aux capteurs de communiquer entre eux, “qu’ils puissent s’étalonner, prévenir d’une panne, relayer une batterie faible…” énumère Gabriel Dulac.

Pour assurer l’accessibilité des capteurs aux associations, le coût reste une contrainte-clé et justifie, à lui seul, le recours au do-it-yourself : un seul boîtier AirParif, produit de qualité industrielle, est facturé 10 000 euros. Aux yeux de Sébastien Vray, président de l’association Respire, le potentiel d’empowerment est considérable :

Aujourd’hui, les associations de surveillance de la qualité de l’air (Asca) produisent des données fiables mais sur des échantillons très étroits : une batterie de station de fond, éloignée du trafic, et des batteries de proximité, plongées dans la circulation. Avec les capteurs citoyens, la possibilité serait offerte de produire une véritable information bottom-up sur la qualité de l’air : placer des capteurs dans des poussettes, simuler des trajets ou, tout simplement, mettre des capteurs chez les “pauvres” pour pouvoir établir le lien entre précarité sociale et précarité environnementale.

L’OMS évalue à deux millions par an le nombre de décès prématurés liés à la dégradation de la qualité de l’air (30 000 en France) . Avec les capteurs bon marché, Respire espère donner aux associations de défense du cadre de vie les moyens d’argumenter sur les nuisances liées à la pollution de l’air. Pour héberger les premières données, Sébastien Vray vient d’inaugurer PollutionDeLAir.info, une des premières extensions du projet Capteurs citoyens qui lance ses sondes en direction d’autres défis offerts par les données environnementales : pollution sonore, pollution visuelle et qualité de l’eau.


“Citoyens capteurs”Photo CC [bync] Pierre Metivier. L’autre photo (sur fond vert) est issue du wiki mentionné dans l’article.
Photo de une de Pierre Métivier, éditée par Owni.

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http://owni.fr/2012/11/26/mesure-ta-pollution/feed/ 17
Le prix de l’information http://owni.fr/2012/11/22/le-prix-de-l-information/ http://owni.fr/2012/11/22/le-prix-de-l-information/#comments Thu, 22 Nov 2012 11:56:24 +0000 Lionel Maurel (Calimaq) http://owni.fr/?p=126458

Without a Face, a portrait of the Soul - Photo CC by familymwr

“Information wants to be free”, vous vous souvenez ?

C’est sans toute l’une des phrases les plus célèbres prononcées à propos d’Internet. En 1984, l’auteur américain Stewart Brand lance au cours de la première Hacker’s Conference organisée en Californie :

Information wants to be free.

Ces mots deviendront l’un des slogans les plus forts du mouvement de la Culture libre et ils rencontrent encore aujourd’hui des échos importants, avec l’affaire WikiLeaks par exemple, les révolutions arabes ou le mouvement de l’Open Data. L’idée de base derrière cette formule consiste à souligner que l’information sous forme numérique tend nécessairement à circuler librement et c’est la nature même d’un réseau comme internet de favoriser cette libération.

Mais les choses sont en réalité un peu plus complexe et Stewart Brand dès l’origine avait parfaitement conscience que la libre circulation de l’information était une chose qui engendrerait des conflits :

D’un côté, l’information veut avoir un prix, parce qu’elle a tellement de valeur. Obtenir la bonne information au bon endroit peut juste changer toute votre vie. D’un autre côté, l’information veut être libre, parce que le coût pour la produire tend à devenir continuellement de plus en plus bas. Nous avons une lutte entre ces deux tendances.

Ce conflit latent traverse toute l’histoire d’Internet et il atteint aujourd’hui une forme de paroxysme qui éclate dans une affaire comme celle de la Lex Google.

Encapsuler l’information

Pour obliger le moteur de recherche à participer à leur financement, les éditeurs de presse en sont à demander au gouvernement de créer un nouveau droit voisin à leur profit, qui recouvrira les contenus qu’ils produisent et soumettra l’indexation, voire les simples liens hypertexte, à autorisation et à redevance.

Il est clair que si de telles propositions se transforment en loi dans ces termes, la première tendance de Stewart Brand aura remporté une victoire décisive sur l’autre et une grande partie des informations circulant sur Internet ne pourra plus être libre. La Lex Google bouleverserait en profondeur l’équilibre juridique du droit de l’information.

En effet, c’était jusqu’alors un principe de base que le droit d’auteur protège seulement les oeuvres de l’esprit, c’est-à-dire les créations originales ayant reçu un minimum de mise en forme. Cette notion est certes très vaste puisqu’elle englobe toutes les créations “quels qu’en soient le genre, la forme d’expression, le mérite ou la destination”, mais elle ne s’applique pas aux idées, aux données brutes et à l’information qui ne peuvent pas faire l’objet d’une appropriation et demeurent “de libre parcours”.

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Les articles de presse doivent-ils être protégés par le droit d'auteur ? Ce n'est pas l'avis d'un récent arrêt d'une ...

Ces éléments forment un “fonds commun”, comme le dit le professeur Michel Vivant, dans lequel chacun peut venir puiser librement sans entrave pour alimenter ses propres réflexions et créations. Tout comme le domaine public, ce fonds commun joue un rôle primordial dans l’équilibre du système, afin que le droit d’auteur n’écrase pas d’autres valeurs fondamentales comme le droit à l’information ou la liberté d’expression.

Créer un droit voisin sur les contenus de presse reviendrait à “encapsuler” l’information dans une carapace juridique et à anéantir une grande partie de ce domaine public informationnel. L’information en elle-même, et non son expression sous forme d’articles, passerait subitement en mode propriétaire, avec même une mise en péril du simple droit à la citation.

À vrai dire, cette tendance à l’appropriation existe depuis longtemps. Elle s’est déjà manifestée par la création d’un droit des bases de données dans les années 90, dont l’application soulève de nombreuses difficultés. Des signes plus récents montrent qu’un revirement plus profond encore est en train de s’opérer dans la conception de la protection de l’information.

Les dépêches de l’AFP ont ainsi longtemps bénéficié d’une sorte de statut dérogatoire, comme si l’information brute qu’elle contenait et qu’elles étaient destinées à véhiculer primait sur le droit à la protection. Les juges considéraient traditionnellement que ces dépêches n’étaient pas suffisamment originales pour qu’on puisse leur appliquer un droit d’auteur, ce qui garantissait leur libre reprise. Mais l’AFP s’est efforcée de renverser le principe, en attaquant dès 2005 Google News devant les tribunaux, ce qui préfigurait d’ailleurs très largement les débats autour de la Lex Google.

Or en février 2010, le Tribunal de commerce de Paris a reconnu que les dépêches pouvaient présenter une certaine forme d’originalité susceptible d’être protégée :

[...] Attendu que les dépêches de l’AFP correspondent, par construction, à un choix des informations diffusées, à la suite le cas échéant de vérifications de sources, à une mise en forme qui, même si elle reste souvent simple, n’en présente pas moins une mise en perspective des faits, un effort de rédaction et de construction, le choix de certaines expressions [...]

L’affaire a été portée en appel, mais en attendant, l’information brute se trouve bien à nouveau recouverte par le droit d’auteur.

Demain, tous des parasites informationnels ?

Une affaire récente, qui a défrayé la chronique, va encore plus loin et elle pourrait bien avoir des retentissements importants, puisqu’elle tend à faire de chacun de nous des parasites en puissance de l’information, attaquables devant les tribunaux.

Jean-Marc Morandini vient en effet d’être condamné à verser 50 000 euros au journal Le Point, qui l’accusait de piller régulièrement la partie Médias 2.0 de son site, afin d’alimenter ses propres chroniques. Le jugement de la Cour d’Appel de Paris qui a prononcé cette condamnation est extrêmement intéressant à analyser, car il nous ramène au coeur de la tension autour de l’information libre formulée par Stewart Brand.

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En effet, le juge commence logiquement par examiner si les articles repris sur Le Point peuvent bénéficier de la protection du droit d’auteur. Et là, surprise, sa réponse est négative, en vertu d’un raisonnement qui rappelle la position traditionnelle sur les dépêches AFP. La Cour estime en effet que les brèves figurant dans cette rubrique Medias 2.0 constituent des articles “sans prétention littéraire, ne permet[tant] pas à leur auteur, au demeurant inconnu, de manifester un véritable effort créatif lui permettant d’exprimer sa personnalité”. C’est dire donc qu’elles ne sont pas suffisamment originales pour entrer dans le champ du droit d’auteur, le journaliste qui les rédige (Emmanuel Berretta) se contentant de diffuser de l’information brute.

Nous sommes donc bien en dehors de la sphère de la contrefaçon, mais les juges ont tout de même estimé que Morandini méritait condamnation, sur la base du fondement de la concurrence déloyale et du parasitisme. La Cour reconnaît que le journaliste imite Le Point “avec suffisamment de différences pour éviter le plagiat, notamment en modifiant les titres des brèves et articles repris”, mais elle ajoute qu’il tend ainsi ainsi “à s’approprier illégitimement une notoriété préexistante sans développer d’efforts intellectuels de recherches et d’études et sans les engagements financiers qui lui sont normalement liés”. Plus loin, elle explique qu’ “il ne suffit pas d’ouvrir une brève par la mention “Selon le journal Le Point” pour s’autoriser le pillage quasi systématique des informations de cet organe de presse, lesquelles sont nécessairement le fruit d’un investissement humain et financier considérable”.

On est donc en plein dans la première partie de la citation de Stewart Brand : “information wants to be expensive, because it’s so valuable”. L’avocat du Point commentait de son côté la décision en ces termes :

Qu’il y ait une circulation de l’information sur Internet, du buzz, des reprises…, c’est normal, c’est la vie du Web, reprend Me Le Gunehec. Nous l’avions dit franchement à la cour d’appel, et elle le sait bien. Mais elle a voulu rappeler qu’il y a une ligne jaune : se contenter de reprendre les informations des autres, sous une forme à peine démarquée, avec quelques retouches cosmétiques pour faire croire à une production maison, cela ne fait pas un modèle économique acceptable. Et on pourrait ajouter : surtout quand cette information est exclusive.

Cette dernière phrase est très importante. Ce qu’elle sous-entend, c’est que celui qui est à l’origine d’une information exclusive devrait pouvoir bénéficier d’un droit exclusif sur celle-ci pour pouvoir en contrôler la diffusion et la monétiser. La logique du droit jusqu’à présent était pourtant exactement inverse : pas de droit exclusif sur l’information elle-même…

Sans avoir aucune sympathie particulière pour Morandini, il faut considérer qu’un tel raisonnement peut aboutir à nous rendre tous peu ou prou des parasites de l’information, car nous passons notre temps à reprendre des informations piochées en ligne sur Internet. Certains commentaires ont d’ailleurs fait remarquer à juste titre que cette jurisprudence heurtait de front le développement des pratiques de curation de contenus en ligne.

Revendiquer un droit exclusif sur l’information brute elle-même, différent du droit d’auteur sur son expression, c’est d’une certaine façon courir le risque de permettre l’appropriation de la réalité elle-même. Qu’adviendrait-il d’un monde où l’information serait ainsi protégée ? Un monde où l’information est copyrightée ?

Paranoia - Photo CC byncsa perhapsiam

Science-fiction

Il se trouve que la science-fiction a déjà exploré cette possibilité et la vision qu’elle nous livre est assez troublante et donne beaucoup à réfléchir sur cette crispation que l’on constate à propos du droit de l’information.

Dans sa nouvelle d’anticipation “Le monde, tous droits réservés” figurant dans le recueil éponyme, l’auteur Claude Ecken imagine justement un mode dans lequel l’information pourrait être copyrightée et les conséquences que cette variation pourrait avoir sur les médias et la société dans son ensemble.

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Dans un futur proche, l’auteur envisage que la loi a consacré la possibilité de déposer un copyright sur les évènements, d’une durée de 24 heures à une semaine, qui confère un droit exclusif de relater un fait, empêchant qu’un concurrent puisse le faire sans commettre un plagiat. A l’inverse de ce qui se passe aujourd’hui avec la reprise des dépêches des agences AFP ou Reuters, les organes de presse se livrent à une lutte sans merci pour être les premiers à dénicher un scoop sur lequel elles pourront déposer un copyright.

L’intérêt de la nouvelle est de développer dans le détail les implications juridiques et économiques d’un tel mécanisme. Les témoins directs d’un évènement (la victime d’une agression, par exemple) disposent d’un copyright qu’ils peuvent monnayer auprès des journalistes. Lorsqu’une catastrophe naturelle survient, comme un tremblement de terre, c’est cette fois le pays où l’évènement s’est produit qui détient les droits sur l’évènement, qu’elle vendra à la presse pour financer les secours et la reconstruction.

Et immanquablement, cette forme d’appropriation génère en retour des formes de piratage de l’information, de la part de groupuscules qui la mettent librement à la disposition de tous sous la forme d’attentats médiatiques, férocement réprimés par le pouvoir en place, ce qui rappelle étrangement l’affaire WikiLeaks, mais portée à l’échelle de l’information générale.

Si Claude Ecken s’applique à démontrer les dangers d’un tel système, il laisse aussi son héros en prendre la défense :

Avant la loi de 2018, les journaux d’information se répétaient tous. Leur spécificité était le filtre politique interprétant les nouvelles selon la tendance de leur parti. Il existait autant d’interprétations que de supports. Le plus souvent, aucun des rédacteurs n’avait vécu l’évènement : chacun se contentait des télex adressés par les agences de presse. On confondait journaliste et commentateur. Les trop nombreuses prises de position plaidaient en faveur d’une pluralité des sources mais cet argument perdit du poids à son tour : il y avait ressassement, affadissement et non plus diversité. L’information était banalisée au point d’être dévaluée, répétée en boucle à l’image d’un matraquage publicitaire, jusqu’à diluer les événements en une bouillie d’informations qui accompagnait l’individu tout au long de sa journée. Où était la noblesse du métier de journaliste ? Les nouvelles n’étaient qu’une toile de fond pour les médias, un espace d’animation dont on ne percevait plus très bien le rapport avec le réel. Il était temps de revaloriser l’information et ceux qui la faisaient. Il était temps de payer des droits d’auteur à ceux qui se mouillaient réellement pour raconter ce qui se passait à travers le monde.

Dans un commentaire de la décision rendue à propos de Morandini, on peut lire ceci : “Même sur Internet, le journaliste se doit d’aller chercher lui-même l’information !”. Vous voyez donc que l’on n’est plus très loin de l’histoire imaginée par Claude Ecken.

Eye of the Holder - Photo CC by familymwr retouchée par Owni

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Information wants to be free… c’était le rêve qu’avait fait la génération qui a assisté à la mise en place d’internet, puis du web, et ce rêve était beau. Mais la puissance de la pulsion appropriatrice est si forte que c’est une dystopie imaginée par la science-fiction qui est en train de devenir réalité, à la place de l’utopie d’une information libre et fluide. Avec l’information brute, c’est la réalité elle-même que l’on rend appropriable, ce qui rappelle également les dérives dramatiques que l’on avait pu constater lors des derniers Jeux Olympiques de Londres, à l’occasion desquels les autorités olympiques avaient défendu leurs droits exclusifs sur l’évènement avec une férocité alarmante.

Il existe pourtant une autre façon de concevoir les choses, à condition de quitter le prisme déformant des droits exclusifs. Au début de la polémique sur la Lex Google, j’avais en effet essayé de montrer que l’on peut appliquer le système de la légalisation du partage non-marchand aux contenus de presse et que si on le couple à la mise en place d’une contribution créative, il pourrait même assurer aux éditeurs et aux journalistes des revenus substantiels tout en garantissant la circulation de l’information et la liberté de référencer.

L’information veut être libre, mais il nous reste à le vouloir aussi.


“Without a Face, a portrait of the Soul”Photo CC [by] familymwr ; “paranoia”Photo CC [byncsa] perhapsiam ; “Eye of the Holder” – Photo CC [by] familymwr, retouchée par Owni.
Image de une : “La Gioconda avec Paper Bag”Photo CC [bync] Otto Magus.

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