OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Chantage au pétrole sale http://owni.fr/2011/11/29/chantage-au-petrole-sale-sables-bitumineux-canada-schiste/ http://owni.fr/2011/11/29/chantage-au-petrole-sale-sables-bitumineux-canada-schiste/#comments Tue, 29 Nov 2011 12:14:16 +0000 Sylvain Lapoix http://owni.fr/?p=88517

Pour protéger ses exportateurs de pétrole vers l’Union européenne, le gouvernement canadien a mené une campagne de lobbying jusqu’au plus haut niveau pour court-circuiter une directive sur la qualité des carburants. Parmi elles, des rencontres officieuses de membres du gouvernement d’Ottawa avec David Cameron et des membres de son gouvernement visant à saborder la réglementation, dont des documents publiés lundi 28 novembre montrent la régularité et la teneur.

110 événements de lobbying organisés en deux ans

Présentée en juillet 2009 par la Commission européenne, la directive sur la qualité des carburants (Fuel Quality Directive ou FQD) visait à intégrer dans l’évaluation du bilan carbone des énergies consommées par les transports non seulement les rejets de gaz à effet de serre causés par leur extraction en plus de celles issues de la combustion. Face au critère visant à ne pas acheter ni commercialiser d’énergie fossile “plus polluante que le pétrole conventionnel”, de nouvelles ressources dites “non conventionnelles” (extraites à grand renfort de produits chimiques, déforestation et méthodes violentes, comme les gaz de schiste) se voyaient menacées par cette décision.

Et notamment les “sables bitumineux”, forme de pétrole non mature reposant dans des couches superficielles de silice. Des plages d’or noir qui font depuis quelques années les beaux jours des exportations d’hydrocarbures du Canada. Lequel dévaste pour les extraire de majestueux paysages, cours d’eau et écosystèmes de son Far West, rejetant ainsi 22% de CO2 en plus que les exploitations de pétrole classique selon la directive sur la qualité des carburants. De quoi dissuader les importateurs censés réduire leur bilan carbone de 10% d’ici à 2020 de s’abreuver à cette source. Malgré cette catastrophe écologique, l’enjeu économique demeure assez crucial pour Ottawa pour que ses autorités refusent de se voir dicter des restrictions à l’export par la réglementation européenne.

Le lobbying pour briser la décision européenne a débuté dès la rentrée 2009 : en deux ans, les Amis de la Terre Europe (Friends of the Earth Europe) ont recensé 110 événements organisés par les autorités et lobbies canadiens autour des institutions européennes visant à pointer les incohérences de la directive sur la qualité des carburants face aux sables bitumineux. D’une autre main, Ottawa s’est saisi d’une multitude d’études favorables à ses thèses, invoquant notamment l’IHS Cera, cabinet de conseil spécialisé dans les hydrocarbures subventionné par l’industrie pétrogazière et déjà infiltré dans les groupes de travail du ministère de l’énergie américain. De quoi retarder le vote de la directive et perturber les débats au Parlement. Une interférence cependant insuffisante pour s’assurer de l’enterrement en grandes pompes de la législation anti-sables bitumineux.

Coup de fil à un ami du Commonwealth

Se saisissant des négociations sur un accord de libre échange Canada-Union européenne (Accord économique et commercial général ou AECG), le gouvernement d’Ottawa a alors formulé une plainte, considérant que le caractère “discriminatoire” de la FQD justifiait la révision des discussions en cours, lesquelles devaient aboutir fin 2011. En juin, le Parlement européen, saisi sur la résolution, voyait deux camps s’affronter avec, dans la balance, 20 milliards d’euros d’échanges supplémentaires permis par ces nouveaux accords. Si les débats des plénières des 6 et 8 juin étaient agités entre les différents parlementaires autour de la question, la majeure partie des parlementaires et la Commission ont soutenu l’accord tout en refusant d’y sacrifier les mesures environnementales. Suivant la procédure, la proposition a été transmise au Conseil, où les attendaient les lobbyistes canadiens, comme l’a constaté l’eurodéputé écologiste hollandais Bas Eckhout :

Une fois l’accord de libre-échange voté, le lobbying a basculé du Parlement et de la Commission au Conseil. Etant donné que le Canada est toujours dans le Commonwealth, il a joué sur la corde sensible de ce lien avec le Royaume-Uni pour le rallier à sa cause. Ce qui a été d’autant plus facile que l’une des principales entreprises engagées dans l’extraction des sables bitumineux en Alberta est la compagnie britannique BP.

Obtenus par les organisations écologistes en vertu de la loi sur la liberté de l’information britannique (Freedom of information act), des mémos ont prouvé que le Canada s’était engagé avec le Royaume-Uni dans des rencontres régulières visant à étouffer une bonne foi pour toute la FQD. Aux quinze réunions organisées entre responsables politiques canadiens et anglais depuis septembre 2011, dont certains directement entre David Cameron et le Premier ministre canadien Stephen Harper, plusieurs échanges entre officiels se concluent de remarques positives. A la suite de l’entretien entre le ministre du commerce anglais Lord Sassoon et le ministre de l’Energie de la province d’Alberta où se trouvent les plus importantes réserves de sables bitumineux, une note sanctionne la rencontre :

[Le ministre de l'énergie] était très reconnaissant au Royaume-Uni de ses efforts sur la FQD (directive sur la qualité des carburants).

Plus gênant, des lettres et présentations de groupes pétroliers adressées directement aux ministres présentent leurs “inquiétudes” sur la directive, déclinant l’argumentaire des industriels repris par Londres ensuite. BP écrivait ainsi le 18 octobre au ministre des Transports anglais Norman Baker :

- La question ne porte pas réellement sur les sables bitumineux […]
- Cette proposition nécessiterait un système de certification des rejets de gaz à effet de serre pour toutes les formes de carburants bruts et produits raffinés. […] La charge réglementaire [de la directive] serait considérable à une époque où le secteur croule déjà sous un régime de régulation très lourd et il y a toujours la crainte d’ouvrir la porte aux fraudes.
- Cette mesure aurait un impact significatif sur les prix du brut et des produits raffinés importés en Europe et représenterait un coût important pour l’industrie du raffinage européenne, qui subit déjà un stress financier considérable – et au final pour le consommateur également.

BP EIR (Final)

Comprendre : cette législation pèserait sur les résultats financiers des groupes pétroliers qui considèrent être déjà assez contrôlés comme ça. Contacté par OWNI, le ministère des Transports britannique s’en tient à la position officielle de Norman Baker :

L’assertion selon laquelle nous ne prendrions pas au sérieux la question des sables bitumineux à haute émission est scandaleuse. […] Pour être clair, nous ne retardons pas notre action mais nous cherchons la solution la plus prompte et la manière la plus efficace, qui est de considérer toutes les formes de carburants bruts de la même manière, pas seulement les [huiles issues des] sables bitumineux importés d’un pays particulier.

Un discours reprenant mot pour mot l’argumentaire de BP mais un allié insuffisant pour remporter la majorité des voix. Se tournant vers la compagnie Shell, les Canadiens auraient selon The Guardian également rallié à leur cause le pays d’origine de la compagnie, les Pays-Bas. Mais le travail de sape ne s’arrête pas là selon Bas Eickhout :

L’Espagne et la Pologne semblent maintenant formuler des réserves à leur tour sur la FQD. Les Canadiens ont dégainé un argument-massue pour convaincre les Polonais : si les critères de la directive sanctionnent les sables bitumineux, bientôt, ce seront les gaz de schiste qui verront leur bilan carbone et leur prix augmenter.

Ambassadrice des gaz de schiste dans l’Union européenne et en charge de la Présidence du Conseil jusqu’au 31 décembre 2011, Varsovie semble avoir été sensible à cette suggestion. Prévu le 2 décembre 2011, le vote de la FQD a été repoussé à janvier prochain. Une nouvelle victoire du lobbying canadien.


Images et illustrations par Manchester Foe [cc-by-nc-sa] remix par Ophelia Nooret Xavier de Jaubéguiberry [cc-by-nc-nd] via Flickr

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Une image soluble dans le pétrole http://owni.fr/2010/07/09/une-image-soluble-dans-le-petrole/ http://owni.fr/2010/07/09/une-image-soluble-dans-le-petrole/#comments Fri, 09 Jul 2010 10:23:49 +0000 Béat Brüsch http://owni.fr/?p=21590 Certains observateurs, au nombre desquels je me compte, ont noté que les photographies sont de plus en plus utilisées en tant qu’illustrations par la presse. Ce distinguo ouvre le champ de la photographie de presse à des pratiques habituellement réservées à d’autres disciplines photographiques. Cela ne va pas sans grincements, car les règles du jeu ne sont pas toujours connues et il arrive même qu’elles varient en cours de partie. Chaque nouvelle « affaire » nous arrache un soupir accablé qui se prolonge à la lecture des commentaires de certains blogs. L’incident de retouche qui défraie la chronique de ces derniers jours dans le monde anglophone ne dément pas cette impression de déjà vu. Nous avons, d’un côté, une presse qui prend certaines libertés avec la « sacro-sainte » vérité des photographies et de l’autre, des lecteurs qui, tels des vierges effarouchées, s’étranglent de dépit en se répandant en considérations naïves sur les trahisons des journalistes.

Il serait temps de clarifier le statut des images de presse à l’aune des pratiques récentes. On a dit et redit que les images ne représentent, au mieux, que ce que le contexte autorise. Le contexte n’est pas seulement constitué des éléments entourant la prise de vue, ses effets se poursuivent dans les conditions éditoriales. Il me semble que le public contemporain devrait être apte à comprendre qu’une photo illustrant une couverture de magazine est souvent à prendre comme une image servant en premier lieu à vendre ledit magazine. La profession journalistique est ici fautive de ne pas communiquer sur la différence entre images à caractère publicitaire et images au caractère documentaire incontestable. C’est le noeud du problème. La profession à trop longtemps – et jusqu’à l’usure – proclamé son objectivité. Forte de cette aura, elle ne peut plus maintenant nuancer cette affirmation. Elle y retrouverait pourtant une certaine crédibilité… si cela se peut encore.

Le scandale de l’image retouchée d’Obama

L’affaire, donc… L’édition du 19 juin du magazine britannique The Economist présente, en couverture, une photo du Président Obama pensif, seul, sur une plage de Louisiane ensoleillée avec, à l’horizon, une plateforme pétrolière.

Le journaliste du New York Times (NYT) Jeremy W. Peters a découvert la photo originale de Larry Downing (pour Reuters ) et en fait part sur son blog le 5 juillet. Sur cette image, on voit que le Président Obama n’était pas seul. Il était accompagné de Mme Charlotte Randolf, responsable d’une paroisse locale et de l’amiral Thad W. Allen des Coast Guard. Tous les deux ont été « éliminés » en postproduction, l’un par recadrage et l’autre par effacement.

Rapidement, le blog du NYT fait une mise à jour en publiant un e-mail reçu de l’éditrice Emma Duncan, responsable de la parution de cette image au The Economist. Elle y affirme, en substance, que « Mme Charlotte Randolf a été effacée de l’image pour ne pas dérouter le spectateur par la présence d’une personne inconnue et que ce n’est pas la première fois que The Economist modifie des photos de couverture. Nous ne voulons pas tromper le lecteur. Nous voulions centrer le sujet sur M. Obama, mais pas dans le but de le montrer isolé. Le sujet de l’histoire n’est pas le dommage causé à M. Obama, mais au business des USA. » ]

Assumer les choix éditoriaux

Petite nouveauté, cette fois : la rédaction fautive ne cherche pas à nier en s’enfonçant dans le ridicule comme l’avait fait Paris Match avec les bourrelets présidentiels. Mais il faut dire aussi que la rédaction du The Economist s’est fait prier : sollicitée quelques jours avant la parution du billet sur le blog du NYT, elle n’a pas cru bon de réagir et ne s’est expliquée qu’une fois le billet paru. Les explications de Mme Emma Duncan sont maladroites et surtout incomplètes. À quand un exposé clair des considérations qui président à ces choix éditoriaux ? Pourquoi ne pas affirmer clairement qu’une image de couverture de magazine peut être fabriquée pour mieux porter une idée ? Le désir d’une image épurée est certes une très bonne raison pour opérer une retouche, mais dire que cela contribue aussi à mieux vendre – car une image simple, plus facile à décoder, est aussi plus vendeuse ! – serait un complément utile.

Comme on a déjà pu le remarquer, j’ai une conception assez libérale des pratiques de retouche. Celle dont nous parlons ici ne me choque pas plus que d’autres. Je pense que cette image de couverture est plutôt bonne et illustre bien l’idée d’un président fort préoccupé par le problème causé par cette gigantesque fuite de pétrole. Que la photo originale ait été différente ne me choque pas plus que cela. Ce qui me choque, c’est qu’on ne joue pas cartes sur table en ne nous disant pas tout sur le statut de cette image.

Communiquer sur sa politique d’image

Pourtant, The Economist n’en est pas à sa première couverture mettant en scène le Président Obama de façon illustrative, on en trouve plusieurs de ce type sur internet. Ces couvertures sont plutôt bien perçues, car en général, les éléments contenus dans l’image ne laissent aucun doute sur son aspect conceptuel. Souvent le président est replacé sur un fond non photographique. Avec le Golfe du Mexique, le fond était « trop beau » et l’ensemble correspondait parfaitement au concept voulu. On aurait pu le produire plus artificiellement, de manière à dénoter l’aspect fabriqué, mais cela aurait été moins efficace (tant du point de vue d’une « image-idée » que d’un point de vue « vendeur »).

Ne pas communiquer sur sa politique d’image et en particulier pour celles qui peuvent prêter à discussion, c’est infantiliser le lecteur. Il serait pourtant simple de mentionner – cela se fait dans certains magazines – une signature du genre « image réalisée avec trucage ». Plus généralement, on devrait pouvoir trouver dans l’impressum de chaque organe de presse une déclaration claire et complète de sa charte des images. Les organes de presse doivent cesser de se cacher derrière l’intangibilité d’une vérité photographique à laquelle plus personne ne croit. Il faut exposer aux lecteurs les contextes de parution des images. Ce double langage qui, d’un côté, prône tout un fatras de fausses vérités liées aux images, et de l’autre, est régulièrement pris en défaut dans la pratique est contreproductif. En entretenant ces déclarations de vérité, la presse rend tous ses dérapages encore bien plus insupportables.

Les commentaires sur le blog du NYT sont, à ce titre, exemplaires. Majoritairement contre cette retouche, beaucoup dénotent une forte déception, une vraie trahison de la part des journalistes. (Le fait que The Economist soit d’origine britannique, tout comme la société BP, ajoute une dimension au débat.) Comme souvent dans ce genre d’affaires on tombe sur quelques commentaires faisant le parallèle avec les trucages de photos staliniennes. C’est une sorte de point Godwin du domaine de la retouche photo ;-) Je rappelle à ces rescapés d’un autre âge que 1) les personnages supprimés des photos staliniennes l’étaient en général aussi physiquement, ce qui donne un certain vertige à ces retouches-là, et 2) que des ressources spécialisées disposent d’un arsenal bien plus élaboré d’exemples et de propos sur la retouche.

Détail piquant : sur le blog du NYT, aucun commentateur, sauf un, ne s’est étonné de l’effet de téléobjectif faisant apparaitre une plateforme pétrolière comme très proche du rivage alors qu’en réalité elles en sont fort éloignées. Un commentateur relève qu’il s’est rendu des centaines de fois sur les côtes de Louisiane et n’y a jamais vu de plateformes pétrolières. Soit les gens connaissent bien cet effet optique et l’acceptent, soit ils pensent que les plateformes sont réellement tout près du rivage. Mais dans les deux cas, il faut reconnaitre qu’il s’agit d’une sérieuse déformation de la réalité. Et que de montrer le président Obama si proche d’une plateforme est peut-être tout aussi mensonger que de le montrer seul sur cette plage… À moins que les artifices dûment enregistrés par les appareils photo ne soient moins condamnables que ceux réalisés en postproduction ?

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Billet originellement publié sur Mots d’Images.

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It Ain’t My Fault: we are the Oil http://owni.fr/2010/06/16/it-aint-my-fault-we-are-the-oil/ http://owni.fr/2010/06/16/it-aint-my-fault-we-are-the-oil/#comments Wed, 16 Jun 2010 19:54:37 +0000 Guillaume Ledit http://owni.fr/?p=19037 Les américains ont une obsession avec les morceaux composés afin de soutenir les victimes de catastrophes en tout genre. Problème: cela donne souvent des chansons dégoulinantes de bons sentiments qui agrègent  quelques stars (on se souvient du We Are The World de Michael Jackson et Lionel Richie).

Quand il s’agit des côtes de Louisiane touchées par la plus grande marée noire de l’histoire du pays, les choses se passent avec moins de moyens, mais plus de style.

En fait de style, il s’agit d’un bon vieux blues New-Orleans interprété par un Brass Band local* et réarrangé par non moins que Mos Def. Voilà ce que ça a donné après une jam-session nocturne à laquelle Lenny Kravitz a pointé ses piercings:

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Comme le dit un commentaire sous la vidéo YouTube :

This is the best and most poetic way to say “Fuck you BP”!

Fuck Yeah!

*En commentaire, Serge apporte des précisions utiles sur ce brass band :

Preservation Hall Jazz Band est un groupe de jazz historique de New Orleans, fondé dans les 60s et rattaché à un lieu dédié à la préservation du Jazz, le Preservation Hall. Donc pas “un brass band local” (ce serait plutôt des gens comme rebirth brass band ça), mais bien des dieux d’une forme joyeuse et festive du jazz, dans le plus pur style de New Orleans, et ce quelles que soient les circonstances pourries qui les entourent, de Katrina à la marée noire.

> It Ain’t My Fault interprété par le Dejan’s Olympia Brass Band (sur Spotify)

> Gulf Aid, l’ONG que soutiennent les artistes à l’origine du morceau

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