OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 De Fukushima à DSK: la fin des probables http://owni.fr/2011/05/30/de-fukushima-a-dsk-la-fin-des-probables/ http://owni.fr/2011/05/30/de-fukushima-a-dsk-la-fin-des-probables/#comments Mon, 30 May 2011 09:42:00 +0000 Guillaume Dasquié http://owni.fr/?p=65021 Le scandale s’était ankylosé. Devenu une machinerie rouillée. Les transgressions s’embourgeoisaient. Mêmes les scandales s’écrivaient en statistiques. Rassurantes. Confort d’un lendemain envisagé. Avant qu’une (ré)volution rebatte les cartes, casse les codes, offre de nouveaux marqueurs. Et installe une séquence où les probables dégringolent. Ringardisés.

De la catastrophe nucléaire de Fukushima à l’arrestation de Dominique Strauss-Kahn, la morphologie du scandale a mué. Et présente une physionomie transformée. Depuis les fondations de l’école des Cultural Studies, à Chicago dans les années 70, sociologues et anthropologues se sont efforcés de comprendre ces événements. De donner du sens au tintamarre. En publiant en octobre 2000 « Political scandal ; power and visibility in the media age », le chercheur John Thompson, de l’université de Cambridge, a parmi les premiers tenté de définir le nombre d’or du scandale. D’en tracer les principes architecturaux. Le scandale se nourrit de transgression et de communication. Quel que soit son domaine, sexuel ou financier. Mais, nuance Thompson:

Comment expliquer le rôle prédominant du scandale politique durant les décennies récentes ? Une manière de répondre à cette question serait de dire que la prédominance croissante du scandale politique est symptomatique d’un déclin des normes morales des dirigeants politiques, à la fois en ce qui concerne leur comportement personnel et leur honnêteté générale dans la conduite des affaires. Ainsi pourrait-on par exemple arguer que les scandales sexuels, dispositifs fort répandus dans la vie politique britannique dans les années quatre-vingt et le début des années quatre-vingt-dix, de même ceux qui ont entaché la présidence de Bill Clinton, reflétaient un déclin général des normes morales (…) Cependant, alors que ces explications peuvent sembler plausibles, peu de preuves viennent les appuyer. En effet, il n’est pas du tout sûr que, d’une façon générale, les normes morales des élites politiques soient aujourd’hui inférieures aux normes auxquelles adhéraient les mêmes dirigeants politiques par le passé. Les affaires extraconjugales de Kennedy en sont à elles seules l’exemple le plus manifeste : très peu de présidents américains précédents semblent avoir eu des liaisons qui, à l’époque, restèrent des secrets bien gardés. Il semble plus probable de concevoir que la prédominance croissante du scandale politique ait moins à voir avec un déclin général des normes morales chez les dirigeants politiques qu’avec une transformation des manières et des modalités par lesquelles les activités des dirigeants politiques sont rendues visibles dans le domaine public.

Thompson, qui consacre un long chapitre à la sociologie des scandales sexuels, pose dans ses travaux une distinction fondamentale entre la transgression des normes morales et la transgression des règles de droit pénal. De nos jours, selon lui, seuls les scandales moraux subsistent. Référence à une fellation présidentielle par une stagiaire de la Maison Blanche, certes consentante, mais que son aîné – puissant parmi les puissants – affirma ne pas connaître intimement. Grand scandale. Mais prévisible dans un pays de culture protestante où les mœurs des hommes politiques sont l’indicateur de leur morale publique. Un peu à l’opposé de la France, pays de culture catholique, où les relations à l’argent des hommes politiques sont cette fois l’indicateur de leur morale publique. Les longues soirées de travail des dirigeants avec leurs collaboratrices dans un cas, les amitiés des trésoriers des partis politiques avec les industriels dans l’autre cas représentent une trame connue. Dans laquelle les médias ont l’habitude de raconter des feuilletons scandaleux. Où le scandale apparaît comme probable, presque normal. Ce constat est partagé par deux sociologues français, Damien de Bic et Cyril Lemieux, dans un numéro spécial de la revue Politix:

Le scandale est à concevoir comme un moment certes peu banal et particulièrement violent de la vie sociale mais néanmoins « normal ». C’est la reconnaissance de cette normalité qui incita les anthropologues fonctionnalistes à tenter de lui attribuer une fonction – de contrôle social, de hiérarchisation, de régénération du groupe. C’est elle qui doit nous inviter à saisir positivement les logiques de la dénonciation et de la provocation publiques, plutôt que d’envisager ce type d’actes comme s’il s’agissait d’anomalies comportementales ou de manifestations collectives d’irrationalité.


Illustration de cette thèse avec l’affaire Woerth. Laquelle s’apparente à une narration sur le thème des arrangements entre le trésorier d’un parti de droite et un industriel ami – étonnante mais pas surprenante – débouchant sur une remise à plat de la notion de conflits d’intérêts dans l’espace public, et entraînant un exercice de transparence pour les membres du gouvernement, désormais soumis à une déclaration d’intérêt – fut-elle imparfaite.

Anthropologues et sociologues français ont décortiqué plusieurs siècles de scandales dans l’ouvrage dirigé par Luc Boltanski et d’Élisabeth Claverie, « Affaires, scandales et grandes causes ; de Socrate à Pinochet » (Stock, 2007). Ils soulignent les vertus des scandales et insistent sur les transformations qui suivent ces périodes où l’opinion communie dans un sentiment horrifié ; car ce qui est confusément attendu se réalise.

Le propre des scandales mondiaux récents, de Fukushima à DSK, est d’avoir transformé cette trame. Offrant un cadre de scénario original. La corruption et le mépris des populations pour les dirigeants de Tepco au point de provoquer une catastrophe nucléaire sans pareil. L’accusation de crime sexuel pour le banquier en chef du monde global. Pour John Thompson, les scandales politiques à caractère sexuels relevant de la Cour d’assises remontaient à l’Angleterre du XIX° siècle, lorsque des dirigeants fréquentaient des jeunes garçons mineurs contraints à la prostitution. De nos jours, ils ne correspondent pas aux bouleversements attendus que constitue l’ordinaire du scandale. Créant l’illusion d’un monde moins probable.


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Engagement des jeunes: “la technologie seule n’est pas une motivation suffisante” http://owni.fr/2011/02/28/engagement-des-jeunes-technologie-david-buckingham/ http://owni.fr/2011/02/28/engagement-des-jeunes-technologie-david-buckingham/#comments Mon, 28 Feb 2011 17:00:57 +0000 Sabine Blanc et Ophelia Noor http://owni.fr/?p=41828 David Buckingham est professeur d’éducation à l’Institute of Education (IoE) de l’Université de Londres, où il dirige le centre d’étude des enfants, des adolescents et des médias. En décembre dernier, il a effectué une intervention à Bruxelles dans le cadre de la conférence “L’éducation aux médias pour tous”. Cette rencontre était destinée à préparer la déclaration pour l’éducation aux médias tout au long de la vie, dévoilée officiellement ce jeudi 3 mars [pdf].
Il réfute la dichotomie anciens/vieux médias et online/offline, trop simpliste pour expliquer la donne actuelle, en particulier l’engagement citoyen.

Aux vues des derniers travaux effectués dans le cadre de la conférence de Bruxelles, pensez-vous que l’on va dans la bonne direction ? Ne craignez-vous pas que cette déclaration, non contraignante, reste lettre morte ?

Je suis un peu sceptique (rires) sur ce genre de grande discussion européenne. J’ai le sentiment que les gens se réunissent à l’occasion de ces conférences pour parler de Media Literacy, d’éducation aux médias, nous concevons des déclarations que nous signons, des chartes, des déclarations, etc. Mais en réalité souvent il est difficile de savoir si cela va vraiment conduire à des actions concrètes. Je pense que si nous pouvions mettre en avant ces documents et affirmer qu’à la Commission européenne ou à travers l’Europe il y a un mouvement pour l’éducation aux médias afin que dans chaque pays les gouvernements prennent enfin cela en compte alors peut-être nous pourrions faire la différence. Mais je pense que sur ce sujet là, trouver un consensus européen aussi large a ses limites.

On entend souvent un discours pessimiste sur les jeunes, qui seraient en retrait du débat politique. Partagez-vous ce point de vue ?

Il y a beaucoup de signes en Grande-Bretagne en ce moment montrant que les jeunes sont très intéressés par les usages civiques et sociaux. Ces dernières semaines, j’ai participé à de nombreuses manifestations avec des jeunes en colère qui exprimaient très bien leurs points de vue et protestaient contre les coupes budgétaires dans les services publics et les universités. Il me semble donc que c’est une généralisation de dire que les jeunes ne sont pas intéressés par les sujets civiques et politiques mais je pense que cela dépend de la manière dont vous regardez les évènements.

Je dirais que les jeunes ont souvent un point de vue négatif sur la politique et les hommes politiques, mais je ne pense pas que cela signifie qu’ils ne sont pas intéressés par les questions politiques. Mais souvent les façons dont ils manifestent leur intérêt sont assez différentes des manières traditionnelles de parler de politique.

Lorsque nous effectuons nos recherches, une des questions que nous devons nous poser est: où faut-il regarder pour trouver l’activité civique et politique ? Si vous regardez uniquement les canaux officiels, traditionnels et établis – les partis politiques, les parlements de jeunes, vous ne trouverez pas beaucoup de jeunes intéressés mais si vous élargissez votre champ de vision, vous constaterez que les jeunes peuvent être très engagés sur des sujets politiques précis. Parfois des sujets qui les touchent directement, chez eux, par exemple les protestations étudiantes en Angleterre. Ils peuvent aussi être très engagés sur des sujets qui semblent plus lointains, sur le développement de la planète, la guerre dans d’autres pays, etc.

Pensez-vous que la technologie soit la panacée magique qui donnera naissance à cette nouvelle citoyenneté ?

Non, je pense que les gens inquiets de l’éloignement des jeunes du débat politique voient parfois dans la technologie la solution magique au problème. Ils pensent que d’une manière ou d’une autre, si les jeunes utilisent la technologie, ils seront fascinés. Mon sentiment est que certains jeunes, et aussi certaines personnes plus âgées, sont intéressés par la technologie en elle-même. Mais si la plupart des jeunes sont intéressés par ce que la technologie peut faire, ils ont besoin d’autres motivations pour s’engager sur des sujets civiques et politiques. La technologie seule n’est pas une motivation suffisante.

Concrètement, comment mettre à profit l’extraordinaire potentiel d’Internet pour que les jeunes prennent plus part au débat ?

Il existe des exemples intéressants rencontrés lors de nos recherches, d’organisations qui utilisent Internet de façon créative avec les jeunes. De façon générale, je dirais qu’il s’agit d’utiliser le potentiel participatif, de fournir aux jeunes l’opportunité de dialoguer, de faire des médias et de les distribuer, donc des sites qui permettent de mettre des commentaires aux posts de blogs, des vidéos, des photographies.

Ce potentiel participatif est important mais je dirais que cette possibilité ne suffit pas pour qu’il y ait de la participation. Les gens ont besoin d’être motivés, ils doivent avoir une raison pour franchir le pas. Nous voyons plein de plate-formes qui disent “Exprimez-vous !” et qui sont vides car les gens n’ont pas de raison de s’exprimer. L’Internet en lui-même ne fait pas la différence, il est nécessaire qu’il y ait une relation entre ce qui se passe online et offline et souvent ce qui les engage, c’est ce qui se passe offline.

Vous soulignez justement l’importance du offline, un discours que l’on n’entend pas souvent…

Oui, prenez ce qui se passe en ce moment en Grande-Bretagne avec les étudiants. Ils utilisent massivement Internet, notamment les sites de vidéos comme Youtube, auxquels ils ont recours pour communiquer sur leurs groupes Facebook, ou encore leurs téléphones portables. Les gens qui sont actifs à ce sujet utilisent la technologie de toutes sortes de façons. Mais ce qui compte pour eux c’est en fait de manifester physiquement à un endroit pour faire entendre leurs voix. D’une certaine manière, les vieux médias, télévision, journaux, sont une bien meilleure façon d’engager les gens qui sinon ne le seraient pas.

Je pense donc qu’il est nécessaire qu’il y ait une relation dynamique entre l’engagement en face-à-face, l’utilisation des nouveaux mais aussi des anciens médias. L’Internet, c’est très bien pour les activistes, les gens déjà engagés et impliqués, mais pour toucher ceux qui le sont moins, il vaut mieux utiliser la télévision.

On pourrait reprocher un certain élitisme à l’éducation aux médias ; il y aurait des buts nobles, dont la citoyenneté active, et les autres… En France, on parle de Culture avec un “C”, le point de vue anglo-saxon des “cultural studies” diffère, non ?

Oui, et mon point de vue est celui des cultural studies, pour moi l’éducation aux médias, c’est s’intéresser à la culture populaire, aux expériences des jeunes à ce sujet hors de l’école et amener cela à l’école et le considérer comme une expérience valide. Il ne s’agit absolument pas de dire qu’une culture est valide et de les faire s’intéresser à une meilleure culture.

Media literacy is only part of the story” pour vous, dans ce contexte, est-ce que l’État, qui finance en partie l’éducation aux médias, a intérêt à développer une citoyenneté active ? Des citoyens mieux éduqués, ce sont des citoyens plus critiques… Cf. le débat sur la constitution européenne.

Il y a beaucoup de rhétorique à propos de la citoyenneté active, personne ne serait d’accord avec une citoyenneté passive et si vous en discutez avec la plupart des hommes politiques, ils vous diront que c’est important que les gens s’engagent dans le processus politique. Mais vous observerez que lorsque les gens s’engagent dans le processus politique, les hommes politiques très souvent n’aiment pas ça. Ils vont parfois leur demander leur opinion, ils vont essayer de les consulter mais au final ils ne les écoutent pas vraiment. Ou quand ils s’engagent, ils sont punis.

Une fois encore, les manifestations sont un très bon exemple. J’y étais en novembre dernier, les gens n’avaient pas été violents du tout, mais ils ont été contenus par la police comme du bétail, dans un petit espace, et ont été écrasés tous ensemble sans raison valable. Nous exercions notre droit à protester et nous avons été punis pour cela. Il y a trois ou quatre ans, j’ai fait partie de ces millions de gens qui ont participé à la grande marche de Londres, pour exercer notre droit et exprimer notre opinion sur la guerre en Irak.
Nous avons tous été complètement ignorés. Les hommes politiques veulent que les gens votent et se comportent d’une façon correcte et respectable mais dès qu’ils vont plus loin, qu’ils veulent exercer leurs droits démocratiques comme manifester pour faire entendre leur voix, souvent les hommes politiques ne sont pas intéressés, en dépit de ce qu’ils disent.

Manifestation des étudiants "Fuck Fees" Londres 2010

Vous faites le parallèle entre la façon dont les professionnels du marketing approchent les consommateurs et la façon dont les gouvernements et les organisations approchent les citoyens avec la Media Literacy, en utilisant des outils et un vocabulaire presque similaire, la notion d’empowerment et les médias sociaux par exemple. Quelles seraient les solutions pour une éducation aux médias indépendante ?

Empowerment est un terme rhétorique, un terme “feel-good” comme communauté ou citoyenneté. Les gens pensent que ce sont de bonnes choses. Un des problèmes est que ces termes ne définissent pas vraiment ce qu’ils signifient. Quand des professionnels du marketing parlent d’empowerment, c’est une forme très superficielle d’empowerment. Il existe un paradoxe. Quand les pros du marketing parlent d’enfants et de jeunes gens, ils affirment qu’ils veulent  donner de l’empowerment, qu’ils puissent avoir leur mot à dire, le droit des enfants à choisir. Ils utilisent de plus en plus de méthodes interactives, qui demandent de la participation. Mais tout cela reste superficiel.

Durant votre dernière conférence, vous avez dit que la frontière entre le marketing et les médias s’estompe, s’agit-il du plus grand défi de l’éducation aux médias dans notre société ?

Oui, je pense que l’une des questions clefs aujourd’hui est qu’il est très difficile de faire la distinction entre médias et marketing. Si nous regardons les jeux les plus populaires auprès des enfants, les Pokemon sur lesquels j’ai fait une étude par exemple, Harry Potter , ou lesHigh School Musicals, tout est du marketing, une forme de publicité. Quand nous voulons nous intéresser aux médias en classe, nous prenons des textes sur le sujet que nous déconstruisons et analysons. C’est assez pointu mais les enseignants, pour la plupart, sont à l’aise avec ce type de travail. Les professeurs qui enseignent la littérature et savent comment analyser de la poésie, peuvent très bien le faire pour la publicité ou la fiction. Mais les professeurs sont démunis dès qu’il s’agit d’expliquer comment l’industrie et les processus commerciaux par lesquelles ces choses sont produites fonctionnent.

Comment faire pour les aider ? Que peuvent faire les gouvernements, les associations ?

En tant que formateur pour les enseignants sur ces sujets, je me rend compte qu’ils ont effectivement besoin de formation. Mais pour moi, la responsabilité la plus grande repose sur les gouvernements et les organisations qui régulent les médias. Mais c’est aussi aux organisations de médias elles-mêmes d’informer les gens sur ces sujets.

Crédit photo via Flickr dblstripe [by-nc] Andrew Moss [cc-by] ; The shifted Librarian [cc-by-nc-sa]

La page de David Buckingham [en] sur le site de l’IoE

Retrouvez notre dossier sur la déclaration de Bruxelles sur l’éducation aux médias tout au long de la vie

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