Berlusconi-Kadhafi: Divorce à l’italienne

Le 5 mars 2011

Après avoir été le meilleur ami européen de Kadhafi, Silvio Berlusconi prend ses distances avec le despote libyen. Pourtant, à y regarder de près, les raisons de leur entente ne manquent pas.

Ils étaient si proches. Depuis des décennies, le Président du Conseil italien et le Guide de la Révolution libyen entretenaient des rapports extrêmement privilégiés. Mais aujourd’hui, le divorce entre Silvio Berlusconi, 74 ans, et Mouammar Kadhafi, 69 ans, semble consommé. Enfin ?

Le 22 février, le “Guide de la Révolution” insinuait dans son discours télévisé que les contestataires libyens étaient armés par l’Italie. Bien que l’Italie soit en effet le premier fournisseur d’armes de la Libye, l’information était immédiatement démentie par le ministre Italien des affaires étrangères Franco Frattini. Huit jours plus tard, ce dernier dénonçait le “traité d’amitié, de partenariat et de coopération” signé en 2008 par Berlusconi et Kadhafi, contenant notamment une clause de non-agression. Le même jour, l’entreprise italienne ENI annonçait la fermeture du pipeline gazier de 520km reliant la Libye à la Sicile, et accusait dans la foulée une chute de sa valeur boursière.

Dès lors, Kadhafi était exposé à la menace d’une intervention militaire menée depuis le sol de son ex-allié, où les Etats-Unis disposent de plusieurs bases. Dans son nouveau discours fleuve du mercredi 2 mars, il fanfaronnait de plus belle :

Nous sommes le pays de la dignité et de l’intégrité, ce pays a triomphé de l’Italie.

Ou encore :

Le peuple libyen a bien compris que Kadhafi a obligé l’Italie à s’excuser.

Ainsi, il rappelait que le traité de 2008 reposait avant tout sur les excuses formulées par Berlusconi pour la colonisation de la Libye, de 1911 à 1942, (mise en scène dans le film américano-libyen Le lion du désert, interdit pendant des années en Italie).

Bunga bunga

Depuis de nombreuses années, les deux leaders entretenaient pourtant des rapports plus que cordiaux, intimes. Le Président du Conseil n’a-t-il pas loué l’été dernier, pour la deuxième année consécutive, les services de dizaines de jeunes hôtesses, payées 80 euros chacune, pour accueillir à Rome le dictateur libyen et l’écouter promouvoir l’Islam ? Et la jeune Karima El Marough, alias “Ruby”, dont les rapports tarifés avec le Cavaliere valent à ce dernier d’être poursuivi pour prostitution de mineure, n’a-t-elle pas déclaré :

Berlusconi m’a expliqué que le bunga bunga était un harem inspiré par son ami Kadhafi, avec des filles qui se déshabillent et lui donnent des “plaisirs physiques” ?

Plus officiellement, l’Italie était jusqu’à présent le premier partenaire commercial de la Libye, avec des échanges commerciaux estimés à 12 milliards d’euros l’an dernier. Le traité de 2008 l’engageait par ailleurs à dédommager son ancienne colonie à hauteur de 5 milliards de dollars en vingt ans. La Libye, pour sa part, détenait 2% d’ENI, détenu à 30% par l’Etat italien, et d’autres participations telles que : 7% de la première banque italienne, Unicredit, 2% de l’entreprise d’aéronautique et d’armement Finmeccanica, ou encore 7% de la Juventus de Turin.

Mieux : lorsque l’an dernier, la Libye a ouvert une compétition pour octroyer deux licences à des banques étrangères leur permettant d’exercer sur son territoire, une seule des six banques en lice a finalement été retenue : Unicredit. Mais ces échanges de bons procédés ne datent pas pour autant d’hier. Dans les années 1970, comme le rappelle le journaliste Alberto Toscano, Kadhafi avait déjà volé au secours de Fiat, qui connaissait alors une terrible crise sociale.

Point Godwin

D’un point de vue politique aussi, le Cavaliere est comparable à son compère du désert, dictateur avéré, longtemps redouté pour son rôle actif dans le terrorisme international. Silvio Berlusconi s’était déjà comparé lui-même au Duce Benito Mussolini, à l’occasion d’une conférence de l’OCDE à Paris en mai dernier. Et le grand écrivain italien Umberto Eco, interrogé sur les similitudes entre Silvio Berlusconi et Hosni Moubarak, ajoutait le 26 février dernier dans le Telegraph :

Intellectuellement parlant, une comparaison pourrait être faite avec Hitler, qui est aussi arrivé au pouvoir par des élections libres.

Les deux leaders contestés ont par ailleurs pour point commun une certaine propension à minimiser leur pouvoir. D’abord Berlusconi, en mai dernier : “En tant que premier ministre, je n’ai jamais eu le sentiment d’être au pouvoir.”

Et Kadhafi, aujourd’hui : “Ce régime, c’est celui de la souveraineté du peuple. (…) Je ne suis qu’un symbole.” Autre similitude troublante : alors que l’un, non content de posséder la majorité des médias de son pays, se permettait récemment d’appeler en direct un animateur pour le prendre à partie, l’autre monopolise sans vergogne l’antenne de sa télévision nationale, pour y tenir des discours de plus de trois heures.

Choix stratégique

La différence évidente entre Berlusconi et le Colonel sanguinaire, Umberto Eco n’omet tout de même pas de la relever : “Berlusconi n’est pas un dictateur comme Moubarak ou Kadhafi, car il a remporté les élections avec le support d’une large majorité d’Italiens”, ajoutant que “c’est triste, mais c’est ainsi”. Dès lors, au lieu de s’enfoncer dans un impossible soutien à son ancien “ami”, Silvio Berlusconi a-t-il choisi d’alerter l’Union Européenne sur les enjeux humains de la crise libyenne. Son meilleur coup? Avoir été le premier, le 1er mars, à décider d’envoyer une mission humanitaire en Tunisie, pour aider les milliers de réfugiés venus de Libye.

Entre le dictateur “ami” et son peuple, le Président du Conseil a sans doute fait un choix plus stratégique que purement philanthrope. Lui-même risquant aujourd’hui quinze ans de prison, et ayant dû faire face à la colère de centaines de milliers d’Italiennes indignées par ses frasques sexuelles, il fait désormais savoir qu’il entend “aller en Afrique construire des hôpitaux” dès la fin de son mandat… Voici donc un “Divorce à l’italienne” beaucoup moins réjouissant que le film du même nom réalisé en 1961 par Pietro Germi, avec Marcello Mastroianni.

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Crédits photo: Flickr CC aenastudios, europeanspeopleparty

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